Obligatoire dans les transports, les banques, les commerces... Pour certains, le port du masque est de plus en plus vécu comme une véritable contrainte et peut aboutir à des comportements violents.
De nombreuses vidéos, en France comme à l'étranger, montrent des individus faire de véritables crises de nerf. Dans des cas extrêmes, des drames ont eu lieu, comme l'a récemment rappelé l'agression mortelle d'un chauffeur de bus à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) qui demandait à des passagers de s'équiper d'un masque.
Dès lors, comment expliquer ces refus ? Et sur quels mécanismes s'appuie ce phénomène ? La psychologue et essayiste Hélène Romano, ainsi que la psychologue spécialiste de la santé et du travail Bénédicte Pichard, ont toutes deux bien voulu nous faire part de leur analyse.
Des observations faites par deux professionnelles de santé qui permettent de dresser une grille de lecture dépassionnée et minutieuse.
Un masque rattaché à l'idée de mort
Derrière la simple transgression, refuser de porter un masque, explique d'emblée Hélène Romano, est que cela peut d'abord «cacher quelque-chose de beaucoup plus inconscient».
«Symboliquement, le masque a longtemps été un masque mortuaire. Cette dimension mortifère apparaît dans toutes les cultures et est très enfouie dans l’inconscient collectif», décrypte ainsi la spécialiste.
De ce fait, «l'obligation actuelle de porter un masque rappelle constamment que le coronavirus est toujours là, qu'il circule, et que ce virus s'accompagne d'un risque de mort, ce qui, pour beaucoup de personnes est insupportable», indique-t-elle.
Chez ces sujets, refuser le masque peut donc consister à marquer son opposition vis-à-vis de l’autorité, de vouloir s'affirmer en étant actif après une période de confinement où on a été totalement impuissant et passif.
Bien sûr, la plupart des gens, même s'ils vivent l'obligation de porter un masque comme une contrainte, ne développent pas de comportement agressif lorsqu'ils sont rappelés à l'ordre. Certains peuvent certes y penser, mais la majorité ne passera pas à l'acte même s'il apparaît clair que le masque cristallise beaucoup d’angoisse autour d'un virus qui semble encore loin de disparaître.
Pour avoir déjà travailler auprès d'individus obligés de porter un masque dans le cadre de leur travail, Bénédicte Pichard estime par ailleurs qu'il serait judicieux d'aménager au mieux les lieux où le port du masque est obligatoire, ceci de façon à permettre aux gens présents dans ces espaces de mieux le supporter.
«Dans un environnement à la température plutôt élevée, ce peut être, par exemple, de voir ce qui pourrait être fait pour réduire cette chaleur», dit-elle.
Dans le même ordre d'idées, dans le cadre des transports en commun notamment, la spécialiste indique qu'une réflexion pourrait très bien s'engager entre les compagnies et les usagers pour faire en sorte que chacun porte le masque au mieux. Un aspect qui avait déjà été pris en compte dans certains plans de continuité d'activité mais qui pourrait être encore davantage développé.
Cela étant dit, quelles que soient les mesures prises en amont, un contexte délirant, une pathologie psychiatrique non diagnostiquée pourraient exceptionnellement conduire certaines personnes qui refusent de se masquer à attaquer d'autres individus, voire de les tuer. «Cela n’est pas encore répertorié dans les études, tempère toutefois Hélène Romano, mais très peu d’analyses ont encore été faites», explique-t-elle.
Un épuisement collectif source d'énormes tensions
Indépendamment du Covid-19, les soignants s'accordent surtout à dire que souvent, si les gens sont agressifs, c'est parce qu’ils sont épuisés psychiquement. Or, le confinement a été source de grand stress et d'angoisse dans la population. Ce faisant, un conflit autour d'un masque peut vite dégénérer en une agression, celle-ci étant alors un moyen extrême de déverser stress, angoisse et frustration. Un passage à l'acte qui peut être parfois accéléré par des troubles psychopathiques qui eux se traduisent par un refus de suivre les règles ou la loi.
D'après Hélène Romano, un autre aspect qui ne doit pas être négligé, est le fait que la parole officielle autour du masque a varié du tout au tout en l’espace de quelques semaines, ce qui n'a évidemment pas aidé la population à respecter les règles.
«Au début de la crise, les autorités ont dit que le masque ne servait à rien ou qu'il était utile uniquement pour les soignants pour finalement dire l'inverse et le rendre obligatoire au bout de quelques semaines. Un discours très déstabilisant», résume-t-elle. Un avis que partage sa consoeur, Bénédicte Pichard.
De même, les injonctions paradoxales perdurent et sont également légion. Aujourd'hui, le message des autorités est de dire qu’il faut porter le masque pour se protéger et protéger les autres.
Un basculement culturel en cours
Il s'agit ici d'un véritable «basculement culturel qui n'est commun ni à notre culture, ni à nos habitudes, contrairement aux pays asiatiques où cet élément de protection individuel est porté pour protéger le groupe», analyse Bénédicte Pichard.
Mais si les choses semblent évoluer en France, force est de constater que le masque tel qu’il est porté encore parfois par certains individus aujourd’hui sous nos latitudes (sous le menton, avec le nez qui dépasse...) ne répond pas à cet objectif. Dans ce contexte, certaines personnes ne comprennent pas pourquoi elles auraient à porter un masque tout court. Pour elles, il s'agit en quelque sorte d'une contrainte insensée.
Enfin, le masque bouleverse profondément la communication humaine. Alors que 98 % des interactions humaines passent par le langage non-verbal, le masque, en cachant un tiers du visage, sabote les relations humaines.
«Les gens se calent beaucoup sur le sourire, or le masque empêche de voir le sourire. Même si bien porté, le masque est d'utilité publique, il parasite dans le même temps la communication, modifie la voix, empêche parfois la bonne compréhension des mots et des phrases. Le masque est donc porteur d’incohérences comportementales et c’est aussi pour cela qu’il fait l’objet de beaucoup de rejets», analyse encore Hélène Romano.
Des solutions à envisager
Tous ces éléments mis bout à bout, quelle attitude tout un chacun peut-il donc avoir pour tenter de faire entendre raison à quelqu'un qui refuserait de porter un masque alors qu'il le devrait ?
Dans la mesure du possible, les psychologues recommandent de rester calme, de ne pas crier, d’éviter d’être dans la sanction ou l'infantilisation.
«C’est quelque-chose qui revient beaucoup dans les témoignages que nous recueillons : les gens estiment avoir été beaucoup été infantilisés durant le confinement et ne le supportent plus», affirme Hélène Romano.
Face à un individu récalcitrant, il convient donc de dire les choses simplement. Le ton aussi est important. Dire simplement, par exemple : «je vous remercie de mettre le masque car c’est une obligation pour vous comme pour nous» permet de rappeler d’où vient la règle.
Bien sûr, si la personne en face est très agressive et menaçante, le plus sage est de ne pas insister, le but étant évidemment de ne pas de se mettre en danger.
«Si l'on prend l'exemple du chauffeur de bus, soulève en outre Bénédicte Pichard, le fait est que ce métier, dans sa représentation sociale, n'est pas non plus fondamentalement porteur d'autorité». De ce fait, imposer le port du masque à un individu agressif peut s'avérer d'autant plus compliqué. Néanmoins, ajoute-t-elle, «dans toutes les organisations de travail concernées, où il est difficile d'avoir une réponse formelle et générale, des espaces d'échanges pourraient être mis sur pied, de façon à ce que les salariés expriment les difficultés autour du masque auxquelles ils sont confrontés».
Plus largement, les pouvoirs publics ont également pleinement un rôle à jouer. Pour Hélène Romano, ils pourraient, si possible, tenter de fixer une temporalité, ou du moins l’évoquer.
«Le message pourrait consister à dire 'pour l’instant on doit porter le masque, c'est une nécessité et on doit le faire mais il est néanmoins peu probable qu’on doive le porter à vie'». Cela parce que temporaliser une contrainte, c'est-à-dire l'inscrire ponctuellement dans le temps, permet d'éviter que les gens se sentent condamnés.