Avec le déconfinement, de nombreux Français sont de retour sur leur lieu de travail, équipés d'un masque. S'il peut constituer une gêne pour tous, cet accessoire indispensable en période de pandémie constitue un véritable obstacle à l'exercice de certaines professions. Ainsi, avocats, parfumeurs ou orthophonistes choisissent de l'ignorer, de s'adapter ou bien de se réinventer pour l'intégrer.
Dans les salles d'audience on a plutôt pris le parti de l'évitement. Bertrand Périer, avocat et spécialiste de l'art oratoire, assure que «dans les juridictions qu'il fréquente», ses confrères sont masqués «dans les couloirs et les espaces communs». Mais il n'en va pas de même au moment des plaidoiries.
«C'est totalement incompatible, justifie l'avocat. Cela supposerait de forcer la voix, de surarticuler pour être compris, ce serait extrêmement difficile». Pire : l'argumentaire serait appauvri. «Le langage ne passe pas que par les mots, rappelle Bertrand Périer. Les mimiques et expressions participent à la conviction. Si on est amputé d'une moitié de visage, on ne peut pas exprimer la totalité de son message».
Un siège sur 2 est condamné pour les prévenus et les avocats. 3 sur 4 sièges neutralisés dans la salle. #Mediator pic.twitter.com/yk2wqy0Vu0
— corinne audouin (@cocale) June 2, 2020
Les avocats se permettent d'ôter leurs masques lors des audiences parce qu'il est «assez facile de se tenir éloigné», précise-t-il. D'ailleurs, les salles qui «ne permettent pas la distanciation», avec l'occupation «d'un fauteuil sur deux», ne sont pas utilisées. Dans celles qui sont suffisamment grandes, «les avocats entrent au compte-goutte, uniquement pour leurs affaires» et le public est limité.
Reste que certains juges décident d'exercer masqués. Alors, fatalement, «la communication est moins fluide», déplore le spécialiste de l'art oratoire. Il faut comprendre qu'une plaidoirie «n'est jamais écrite», parce qu'elle doit pouvoir «s'adapter dans l'instant aux signaux» que l'avocat reçoit du magistrat.
Lorsque le juge porte un masque, «on ne peut pas lire les sentiments qui le traversent, continue Bertrand Périer. On prend le risque que la plaidoirie soit moins adaptée.» Selon lui, «la justice pâtit» de cette situation car «la plaidoirie n'a d'intérêt que si elle est utile au juge». «Avec le masque, je ne peux pas savoir si ce que je lui dis l'aide à prendre la décision qui lui incombe», explique-t-il.
Mais la contrainte n'est pas toujours vécue comme une perte. Pour Maxime Gonzalez-Anton, elle a eu quelque chose d'enrichissant. Il exerce pourtant le métier de nez ou parfumeur, a priori totalement incompatible avec le port du masque.
Exerçant à Amsterdam, le jeune homme n'a pas connu de réel confinement, comme en France. Les Pays-Bas appliquent cependant les mêmes recommandations sanitaires, reposant principalement sur les gestes barrières, la distanciation et le masque.
Sauf que le port de ce dernier est tout simplement exclu pour un parfumeur. «On est obligés de sentir, souligne Maxime Gonzalez-Anton. On ne peut pas travailler masqués.» Alors, pour continuer a exercer, le jeune homme a dû adapter son rythme de travail, ne se rendant dans les locaux de son entreprise qu'un jour sur deux. Sur place, il peut travailler sans masque à condition de respecter «des mesures très strictes».
Un «challenge intéressant à relever»
Le reste du temps, le nez a recours au télétravail, pour la première fois de sa carrière. Et c'est en cela que l'expérience est devenue enrichissante. Maxime Gonzalez-Anton a dû apprendre à préparer ses formules «loin de tout». C'est à dire loin des membres de son équipe mais aussi de certains de ses outils et, surtout, des milliers de matières premières auxquelles il a habituellement accès pour composer ses senteurs.
«J'ai été obligé de travailler différemment, affirme-t-il. Ma mémoire olfactive a été beaucoup plus sollicitée. D'habitude, et de manière peut-être un peu paresseuse, on a le réflexe d'aller sentir à nouveau plutôt que d'essayer de se souvenir. C'est un challenge intéressant à relever et c'est plutôt agréable, même si ça prend plus de temps.»
Du temps, c'est probablement ce dont Cathy Burnel a besoin pour s'habituer au port du masque dans le cadre de son métier. Orthophoniste dans les Yvelines, elle peine encore un peu à l'intégrer à ses soins, principalement centrés sur la rééducation de la bouche. Pourtant, et de manière paradoxale, le port du masque est aussi une libération pour elle.
Le télésoin est autorisé exceptionnellement et temporairement pour les @orthophonistes. Pour les préconisations c'est ici : https://t.co/nRPNx9G7Uo
— FNO (@orthophonistes) March 26, 2020
Avant de pouvoir rouvrir son cabinet, Cathy Burnel a eu recours au télésoin. La consultation à distance n'était jusqu'ici pas possible en orthophonie. Cette option a été mise en place spécialement pour la période de crise sanitaire, afin de ne pas rompre le suivi des patients. «Je me disais que ce n'était pas pour moi, se souvient la professionnelle du langage. Je m'y suis mise par dépit, parce que je ne savais pas quand ni si je pourrais reprendre».
Il y a eu du bon et du mauvais. Cathy Burnel pense que le télésoin lui a permis de construire «une sorte d'intimité» avec ses patients. «J'étais chez eux en un sens, développe-t-elle. Et puis, on a galéré ensemble avec les problèmes de connexion, etc...». Elle estime que le travail réalisé à distance était «bon à 70 voire 80%».
Un bilan qui semble positif, surtout comparé aux nombreuses difficultés qu'elle rencontre depuis la reprise des rendez-vous dans son cabinet, avec les masques.
Des incompréhensions plus fréquentes
«Il m'arrive d'avoir l'impression d'être amputée de la moitié de mon visage et donc de ma communication, c'est très particulier. Parfois j'ai la sensation que mon sourire ne passe pas et j'ai tendance à en faire plus pour que le patient soit à l'aise, alors que ce n'est pas forcément nécessaire», énumère la professionnelle. Elle évoque aussi la nécessité de «parler plus fort» et des incompréhensions plus fréquentes, surtout auprès d'un public dont la «discrimination auditive» (la capacité à distinguer les sons, ndlr) est souvent imparfaite.
Pourtant, entre télésoin et port du masque, Cathy Burnel maintient sa préférence pour le deuxième. «C'est compliqué, mais moins compliqué que sur l'ordinateur, assure-t-elle. Il y a un côté néfaste de l'écran, dans le sens où il est plus difficile de conserver l'attention des enfants. En télésoin, il m'est arrivé de me retrouver face à une chaise vide.»
Pour elle, rien ne vaut «le contact direct» avec les patients, même s'ils ne voient pas sa bouche. Lorsque c'est indispensable, l'orthophoniste retire ponctuellement son masque. «Quand je dois expliquer comment on articule ou si je décris une sensation au niveau du larynx, par exemple. Dans ces cas-là je recule de plusieurs mètres», précise-t-elle.
Actuellement, Cathy Burnel n'a pas totalement abandonné le télésoin qui rassure certains de ses patients. D'ailleurs, elle aimerait pouvoir continuer à l'utiliser par la suite, mais seulement de manière ponctuelle. Comme une nouvelle corde à son arc.
Pour surmonter cette crise, l'orthophoniste a eu l'impression de devoir se réinventer totalement. Un défi relevé qui la rassure sur la pérennité de son métier : à distance ou masquée, rien ne semble pouvoir l'empêcher d'exercer.
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