Le ballon roule enfin: l'Allemagne est devenue samedi le premier grand championnat de football en Europe à redémarrer, avec le coup d'envoi de cinq matches de Bundesliga. Une reprise sous les yeux attentifs du monde entier mais dans un perturbant silence, celui des stades vides.
Le son strident d'un coup de sifflet à 15h30 précises (13h30 GMT), la première passe en retrait, et voici la chair de poule brusquement revenue sur les avant-bras des amoureux du «Fussball», privés de leur passion depuis précisément 63 jours à cause de la pandémie de coronavirus.
Premiers ballons échangés, premières consignes des entraîneurs, et premier choc Dortmund-Schalke, le fameux Derby de la Ruhr: le foot est bel et bien de retour.
Impossible toutefois de s'enthousiasmer complètement, car l'ombre de la crise sanitaire est visible partout. Sur les jolis masques portés par les joueurs de Schalke à leur entrée dans l'enceinte du Signal Iduna Park; dans les tribunes complètement vides de cet antre habituellement reconnue pour son fameux «Mur jaune»; et même sur les bancs des remplaçants, où seul un siège sur deux est occupé par ces héros masqués du ballon rond.
Le huis clos et les mesures d'hygiène, voilà ce qui attend Dortmund, le Bayern, Leipzig et les autres cadors ce week-end et pendant de nombreuses semaines.
Sans cérémonie ni musique, les équipes sont entrées séparément sur les terrains. Aucune poignée de main, pas d'enfants pour accompagner les joueurs, et aucune montée d'adrénaline sonore pour les premières actions chaudes. A Leipzig, qui reçoit Fribourg, certains ont même gardé leur masque à l'échauffement!
Les mêmes scènes déroutantes s'étaient produites quelques minutes plus tôt sur quatre stades de deuxième division, la D2 ayant repris dès 13h00 (11h00 GMT) avec un protocole sanitaire identique.
Calme plat à Dortmund
Aux abords des stades, d'ordinaire si animés, c'est aussi le silence. A Dortmund, lieu du duel le plus attendu du week-end entre le Borussia et Schalke, l'ambiance en ville n'avait rien à voir samedi avec un jour de match, a constaté un journaliste de l'AFP. Plusieurs fourgonnettes des forces de l'ordre étaient positionnées, et notamment autour de la gare, dans le but d'éviter tout rassemblement de supporters.
Raisonnables, les quelques fans rencontrés font preuve de réalisme: "Mieux vaut des matches à huis clos pour freiner la progression de l'épidémie qu'une catastrophe sanitaire", reconnaît Nicole Bartelt, 44 ans, maillot noir du BVB sur le dos, qui devait rejoindre un couple d'amis pour regarder la rencontre, en respectant les règles sanitaires n'autorisant les réunions qu'entre deux foyers différents et avec une distance de sécurité minimale de 1,5 m.
Un peu plus loin, Marco Perz, 45 ans et possesseur d'une carte de membre permanent depuis 1987, porte fièrement une veste sur laquelle sont collés des dizaines de logos du club. «Il serait absurde et dangereux» que la saison n'aille pas à son terme, juge-t-il: «Pas nécessairement pour les sportifs, qui devront peut-être acheter une Lamborghini en moins, mais pour toute l'économie qui dépend d'eux, les techniciens, jardiniers, magasins de fans.»
Mais cet avis n'est pas unanime: une majorité de l'opinion publique n'est pas favorable à la reprise du championnat (56% des personnes interrogées dans un sondage cette semaine)...
Le secteur du football, lui, sait qu'en jouant les neuf dernières journées de la saison, ses clubs vont récupérer 300 millions d'euros de droits TV, qui permettront à plusieurs d'entre eux d'éviter la faillite.
L'Allemagne en pionnière
Pionnière en Europe parmi les championnat majeurs, l'Allemagne porte désormais la lourde responsabilité de montrer la voie à ses voisins comme l'Angleterre, l'Espagne et l'Italie, qui espèrent encore reprendre. Le succès ou l'échec de son opération «re-start» démontrera que le sport professionnel peut vivre - ou non - avec le coronavirus.
Jusqu'au Brésil, le monde est attentif: au pays de Pelé, les commentateurs n'ont pas hésité à lancer à la télévision qu'il y avait autant d'attente pour ces matches de Bundesliga que pour une finale de Coupe du monde !
Pour convaincre les pouvoirs publics allemands, les équipes ont accepté de se soumettre à des mesures sanitaires draconiennes, et dû notamment s'isoler du monde toute cette semaine.
Deux entraîneurs de Bundesliga ont déjà été exclus des matches de ce week-end pour avoir violé cette quarantaine. Heiko Herrlich, d'Augsbourg, coupable d'être sorti de l'hôtel pour aller acheter du dentifrice en ville. Et Urs Fischer, son collègue de l'Union Berlin, qui a volontairement quitté son groupe pour un deuil familial.
«Le monde entier regarde maintenant vers nous», a constaté vendredi l'entraîneur du Bayern Munich Hansi Flick: «Ça peut être un signal pour toutes les autres ligues et ça peut permettre au sport de reprendre partout (...). Nous avons une fonction d'exemple très importante.»
«Il faudra s'en tenir aux règles, et si l'on ne s'y tient pas, il risque d'y avoir un carton rouge», a lancé vendredi le puissant chef du gouvernement régional de Bavière Markus Söder, pourtant fervent fan de football. Preuve que le moindre écart de la part de la Bundesliga aura sans doute des conséquences majeures, bien au-delà des pelouses allemandes.