Assurer l'impérieux suivi de l'épidémie de coronavirus quitte à faire vaciller, du moins temporairement, les libertés individuelles au profit de la lutte. L'idée est en tout cas sur la table après que le gouvernement a annoncé, mardi 24 mars, réfléchir à une «stratégie numérique d’identification des personnes ayant été au contact de personnes infectées».
Le dossier, entre les mains du CARE, le Comité analyse recherche et expertise installé mardi par Emmanuel Macron et qui a pour tâche principale de conseiller l'exécutif sur les traitements et tests dans l'espoir de venir à bout de l'épidémie, pourrait ainsi déboucher sur la mise en place d'outils de géolocalisation, grâce auxquels les autorités pourraient s'assurer que les citoyens respectent bien le confinement.
Un traçage par GPS, donc, directement inspiré des mesures prises, et avec succès, par la Corée du Sud, pionnière en la matière, et dorénavant à l'oeuvre dans d'autres pays comme l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, la Chine, l'Espagne, les Etats-Unis, Israël, la Pologne, Taïwan, la Russie et plus récemment l'Italie.
Des start-up à l'affût
En France, certaines start-up, à l'instar d'ITSS, sont même déjà sur les starting-block. En à peine soixante-douze heures, cette agence web parisienne a en effet créé une application géolocalisée dédiée au suivi de la maladie Covid-19 et baptisée «CoronApp».
Comme l'explique Stratégies, magazine destiné aux professionnels de la communication, son principe est le suivant : l’application suit les mouvements des utilisateurs pendant quatorze jours. Si un porteur du virus se déclare comme malade du Covid-19, l'algorithme va retracer son parcours pour vérifier les personnes que l'utilisateur contaminé a croisées et les informera via une notification alors de l’heure et de la date à laquelle ils ont été en contact avec cette personne.
De quoi sérieusement interroger sur la préservation et l'utilisation des données. Mais les concepteurs de «CoronApp» l'assurent : les données de géolocalisation ne sont conservées que pendant quatorze jours et ne sont ni partagées ni revendues à des tiers.
A ce stade, rien ne dit non plus que les autorités se baseront sur ce modèle plutôt qu'un autre. Reste que dans un pays comme la France, très attaché à la liberté - première notion de la devise républicaine - une telle approche nécessitera forcément beaucoup de doigté.
Voir ce qui se fait ailleurs
La réflexion venant à peine de s'engager, les pouvoirs publics, se basant sur l'expertise du CARE devraient logiquement commencer par comparer ce qui se fait ailleurs.
A ce sujet, Siècle Digital, média destiné aux professionnels du numérique, cite notamment l'exemple de deux pays aux méthodes relativement différentes.
Alors qu'en Israël, Benjamin Netanyahou, Premier ministre du pays, a déployé des technologies de suivi des déplacements normalement utilisées pour lutter contre le terrorisme, la Corée du Sud, elle, est passée par des développeurs indépendants pour mettre à disposition du grand public des cartes en ligne afin de suivre les lieux qui comportent le plus de personnes infectées.
Un équilibre à trouver
Dans une interview accordée au Figaro le 20 mars dernier, Stéphane Richard, le PDG d'Orange, estimait quant à lui qu'une modélisation de la propagation du coronavirus pourrait largement suffire.
«Je pense que nous devrions pouvoir mesurer l’efficacité des mesures de confinement grâce à des données anonymisées et agrégées. Il ne s’agit pas de traquer les gens individuellement, mais il faut au moins savoir si les gens respectent les périmètres de confinement, ou s’ils se déplacent, sans pour autant savoir qui va où», assurait-il.
Si un «traçage à la française» venait effectivement à voir le jour, l'avis de la Commission Nationale Informatique et des Libertés (CNIL), dont la mission est justement de servir de vigie contre tout usage abusif des données informatiques, sera enfin d'autant plus suivi.
Et si selon un récent sondage YouGov établi pour le HuffPost, 93 % des Français jugent le confinement «nécessaire» au regard de l'effroyable hécatombe que pourrait occasionner un virus transporté par une population laissée en liberté, il n'est pas dit qu'ils soient tout aussi nombreux à voir leur liberté surveillée, et cela encore moins lorsque la menace sera passée.
Sur cette question sensible et très compliquée, Jacques Toubon, le défenseur des droits plaide donc pour un débat large, dans la communauté scientifique, au Parlement et dans la société en général.
Géolocalisation des patients atteints du coronavirus : "Il faut voir les exigences des libertés", affirme le défenseur des droitshttps://t.co/rTShJgbsTY pic.twitter.com/e9BpIPTRwn
— franceinfo (@franceinfo) March 25, 2020
«Il faut voir d'un côté ce que sont les exigences des libertés et de l'autre côté quel est le bénéfice de cette mesure de géolocalisation», a rappelé sur franceinfo, l'ancien ministre de la Justice.
«Nous devons nous dire que nous vivons dans notre démocratie avec un certain nombre de droits fondamentaux et je suis chargé avec les tribunaux de les faire respecter», a-t-il ajouté.