Alors que l'écologie s'est imposée comme un des thèmes politiques incontournables de ces municipales à Paris, David Belliard mène une campagne qui lui permet d'être en progression quasi-constante dans les sondages. Désormais solidement installé en embuscade derrière les trois favoris, le candidat écologiste a des raisons de croire à un avenir plus vert. Il a fait le point avec CNews ce mardi 18 février.
Que pensez-vous de l'arrivée d'Agnès Buzyn en tant que nouvelle candidate LREM ?
Vous trouvez que cela donne une bonne image de la démocratie ? Je ne parle pas de ce qui s’est passé pour Benjamin Griveaux, mais on a une ministre qui s'en va en pleine crise hospitalière et du coronavirus, alors que la réforme des retraites met la ville et la France sous tension. Des centaines de responsables de service à l’AP-HP ont démissionné. Ça ne s’est jamais vu, même avec la réforme Bachelot de 2008.
Et qu’est-ce que nous dit le pouvoir ? «Finalement, tout ça n’a aucune importance. La ministre va partir et être candidate à Paris». Je ne comprends plus du tout quel est le projet. La démocratie, c’est autre chose que du show permanent et qu’un compte Twitter. Ce sont des projets de transformation de la ville.
Est-ce que ce changement modifie la donne dans la campagne à Paris ?
Pour nous, cela ne va rien changer. La candidate En Marche change, mais le dérèglement climatique ne change pas. La montée des prix et l’impossibilité pour une grande partie des gens de se loger ne changent pas. Les enfants qui respirent de la pollution, ça ne change pas. Il y a l’écume politique et puis il y a le fond : ce que vivent les gens à Paris.
Votre programme va-t-il encore évoluer ?
On a présenté 200 propositions, pour une ville moins chère, libérée de la voiture, plus verte, mieux sécurisée, plus propre. Et on va continuer à compléter notre programme dans cette dernière phase de campagne. Au total, on table environ sur 7 milliards d’euros d’investissement. En priorité, nous voulons redonner aux Parisiens des espaces de respiration. Mais nous, on ne veut pas le faire uniquement dans le centre de Paris. Ça, c’est «l’écologie bling-bling», qui favorise les quartiers touristiques. Or, beaucoup de gens vivent dans d’autres arrondissements. On veut faire cette transformation pour tout le monde.
Cela passe par reconquérir de l’espace sur la voiture. Parce qu’aujourd’hui, la voiture individuelle occupe encore la moitié de l’espace parisien. Donc on veut transformer la moitié des places de parking pour faire des pistes cyclables et des espaces verts. On en profite pour réinstaller des bancs publics, pas anti-SDF, sur lesquels les gens peuvent autant se bécoter que dormir. On remet également des toilettes publiques. On ne peut pas dire aujourd’hui que les rues sont sales et que tout le monde urine partout, si on ne propose pas aux gens la possibilité d’avoir des urinoirs masculins et féminins gratuits partout. Il faut aussi des poubelles tous les 50 mètres.
Autre exemple : on va utiliser les bâtiments libres de la ville pour faire du logement social, de l’hébergement, des lieux de création culturelle. Aujourd’hui, 10 % de la superficie de la ville est inutilisée. Pour reprendre l’expression de Kennedy, notre nouvelle frontière à nous, c’est cet espace oublié à Paris. C’est notre objectif : optimiser l’existant.
Je ne crois pas du tout aux maires-bâtisseurs, c’est terminé. Plutôt que lancer des projets pharaoniques, nous voulons reconquérir ce qui existe déjà. Il faut juste le courage politique pour le faire.
De la même manière, je veux créer des parcs, l’équivalent de quatre fois les Buttes-Chaumont. Et cela, sans rien déplacer mais en utilisant l’existant, c’est-à-dire les friches SNCF, qui s’étendent sur 200 hectares. La moitié, soit 100 hectares, on le sanctuarise pour faire des parcs, des jardins et des forêts. Le reste, on le met dans le jeu de la concertation. Quitte à ce qu’ils soient aménagés. On n’est pas favorable à figer la ville.
Votre projet évoque presque la déconsommation...
Oui, il faut sortir d’un modèle économique de surconsommation et de surproduction. Par exemple, je défends la suppression de la publicité, pour une ville où on peut avoir des moments de gratuité, où tout n’est pas commercial. Tout cela dessine un modèle très différent de celui basé sur l’attractivité économique à tout prix.
Il y a aussi un sujet sur le tourisme. Une ville comme Paris, qui est engagée pour le climat, ne peut pas continuer à promouvoir les transports aériens. Je ne dis pas qu’il faut les interdire, mais arrêter de les promouvoir. C’est aussi dans cette idée que nous proposons la gratuité du Vélib’ pour tous les touristes venus par train à Paris.
Si en étant maire de Paris, on ne commence pas à avoir cette ambition de changer le système, alors qui va l’avoir ? On va continuer à se congratuler parce qu’on ne fait plus couler l’eau en se brossant les dents ? Aujourd’hui, les enjeux et l’urgence sont énormes. Les gens ne sont pas bêtes, ils savent que le maire de Paris n’a pas tous les pouvoirs. Mais ils savent aussi qu’on ne peut pas dire à la fois qu’on se bat pour le climat, et d’un autre côté, dire «ce n’est pas grave de continuer à travailler avec des grands promoteurs pour construire de grandes tours de 180 m». Non, il faut être cohérent.
Tout le monde met du vert dans son programme désormais...
Je ne sais pas jusqu’où s’est arrêté le copier-coller des autres candidats. Le fait que nos propositions soient reprises par d’autres, cela veut dire que la bataille de l’opinion est gagnée. Mais, malheureusement, pas celle du climat.
Vous proposez aussi des mesures en faveur du pouvoir d'achat...
Le maire de Paris peut avoir un impact en créant un «appel d’air positif». Il y a aujourd’hui des formats juridiques qui existent. Par exemple, face au prix élevé des produits bio, on peut créer des supermarchés coopératifs. Les actionnaires sont les consommateurs, les producteurs, les collectifs de citoyens… La mairie peut y prendre des parts. Et grâce à ces coûts moindres et à une volonté d’accessibilité des produits, et non pas de maximisation des profits, ces structures pourraient proposer ces produits bio 15 à 20 % moins cher.
Les gens sont en avance. Ils vont au-delà de ce que disent les responsables politiques. Si on leur en donne la possibilité demain de créer ce type de projet, je peux vous assurer que, dans deux ans, nous aurons des marchés coopératifs partout dans Paris.
Autre sujet majeur : la société hyper-ubérisée dans laquelle nous sommes. Les métropoles, qui sont le premier marché de ce type d’économie, ont trop laissé ces entreprises prendre des parts de marché sans réguler. Une partie du développement de l’économie parisienne est assise sur la précarisation croissante, et notamment des plus jeunes. On ne peut pas continuer comme ça, il faut redonner de nouvelles protections aux travailleurs précaires.
En tant que maire de Paris, je n’aurais pas le pouvoir de changer ça. Par contre, je pourrais créer des «CAE», des Coopératives d’activité et d’emploi. Elles font le lien entre l’employeur et l’employé, pour donner un contrat de travail et donc les protections sociales qui vont avec. Cela peut s’appliquer pour les livreurs Deliveroo, pour les chauffeurs Uber... Ça existe déjà. La plus grosse CAE de France, Coopaname, c’est presque un millier de personnes qui y travaillent dans le 20e arrondissement.
Votre programme est-il compatible avec celui de Cédric Villani ?
Le sujet est plus global que Cédric Villani. On a des divergences avec Cédric Villani, avec Anne Hidalgo, avec Danielle Simonnet. C'est pour cela qu'on se présente seuls au premier tour, qu'il y aura un bulletin Belliard/EELV. Il ne faut pas confondre le fond et la manière dont je souhaite gouverner cette ville. Sur le fond, aucun projet n’est équivalent au nôtre, même si on cherche à le copier, à mettre du vert partout.
Après, pour gouverner, personne ne pourra le faire seul. Donc, non seulement je dis ce que je veux faire, mais aussi les gens avec qui je suis susceptible de gouverner, et les conditions. Les petits accords dans la nuit juste après le premier tour, dans un petit bureau d’un parti politique X ou Y, c’est l’ancien monde. Il n’y a pas que des choses mauvaises dans l’ancien monde, mais ça c’est mauvais. Et on le changera.
Un accord avec Cédric Villani ou Anne Hidalgo au 2e tour est-il assuré ?
Tout est envisageable ! Ma question c’est le projet : quelle est la meilleure façon de transformer cette ville ? Les accords représentent les moyens pour y parvenir.
Est-ce que, pour peser davantage, vous seriez prêt à…
[Il coupe] En fait, je vais gagner. Mon objectif, ce n’est pas de peser plus, c’est de gagner. Quand vous faites de la politique, vous êtes content quand vous devenez président de la République. Gagner, c’est devenir maire de Paris. Il n’y a personne d’autre que des écologistes pour mettre en place une politique écologique et sociale.
D’ailleurs, on a essayé, entre 2001 et 2020. Résultat, aujourd’hui, c’est quoi la politique écolo ? C’est la politique des vélos mais aussi des tours, des bacs installés pour verdir les rues mais aussi de la bétonisation. Donc si on veut vraiment transformer les choses, que ça devienne le quotidien des Parisiens, il faut des écologistes au pouvoir.
Et je crois à une surprise au premier tour. Il se passe quelque chose sur le terrain, dans tous les arrondissements. On le ressent. Notre objectif est donc d’être en tête au premier tour dans les 10e, 11e, 18e, 19e et 20e arrondissements.
Les relations sont-elles tendues avec vos alliés de longue date, les socialistes ?
La question personnelle a peu d’intérêt. Les intérêts qui sont les nôtres dépassent les intérêts de personne. D'ailleurs, j’entends beaucoup de choses dans le débat public, en particulier ces derniers jours, que je trouve très haineuses et violentes. Je crois que ce n’est pas la bonne façon de faire de la politique. La question n’est pas d’humilier les gens, tout n’est pas que rapport de force.
Comme j’arriverai en tête, les écologistes et moi serons en leadership dans la coalition climat, mais de façon positive. Nous n’avons aucune volonté d’hégémonie. Chacun vient avec ses convictions. La coopération c’est de faire avec des gens qui sont différents de nous, avec Cédric Villani, Anne Hidalgo, voire Danielle Simonnet, si elle accepte de rentrer dans une large majorité pour gouverner. Ma porte est ouverte.
Ce qui est bien dans cette élection, c’est que je n’ai rien à perdre. Je ne dépends pas de la politique pour vivre et on a encore le droit de se battre pour ses convictions. Si je suis ici, c’est que je crois fondamentalement que ce qu’on propose est ce qu’il faut pour Paris. Ma conviction est que je serai maire. On fera tout pour. Je fais confiance aux gens pour choisir.