Du livre blanc de 1991 au projet de loi d'Emmanuel Macron, le chantier des retraites est un serpent de mer qui a toujours suscité la colère de l'opinion et donné des sueurs froides aux dirigeants. Retour sur près de trois décennies de réformes sur fond de batailles sociales.
1993 : la réforme Balladur ouvre la voie
En pointant les difficultés à venir du système de retraites, affecté par les mutations démographiques et les crises économiques, la publication en 1991 du «Livre blanc sur les retraites», rédigé sous l'égide du Premier ministre Michel Rocard, donne le coup d'envoi des réformes.
Deux ans plus tard, la première voit le jour : le gouvernement d'Edouard Balladur change les règles appliquées aux salariés du privé. Au programme : la durée de cotisation pour une retraite à taux plein est relevée de 37,5 à 40 annuités, et le montant de la pension est calculé sur les salaires des 25 meilleures années, contre 10 auparavant.
1995 : l'échec du plan Juppé
Le Premier ministre de l'époque, Alain Juppé, prévoit d'aligner le système de retraites du secteur public et des régimes spéciaux (SNCF, EDF...) sur celui du privé. Mais l'ambitieux projet de loi suscite le plus vaste mouvement social depuis 1968, avec une série de grèves et de manifestations dans toute la France durant trois semaines. Le 12 décembre, deux millions de personnes sont dans la rue, un record, selon les chiffres des syndicats.
Si Alain Juppé reste d'abord «droit dans ses bottes», il finit par reculer devant la vague de colère et abandonner sa mesure principale, la fin des régimes spéciaux. C'est une victoire indéniable des grévistes, soutenus depuis le début par l'opinion.
2003 : la réforme Fillon
La réforme portée par François Fillon, alors ministre du Travail, vise à rapprocher progressivement les règles des différents régimes – à l'exception de celles des régimes spéciaux. La durée de cotisation des agents publics (37,5 années pour une pension à taux plein) est ainsi alignée sur celle des salariés du privé (40). Des manifestations s'organisent à l'initiative de l'ensemble des syndicats, si bien que le 13 mai, point d'orgue de la mobilisation, un million de personnes battent le pavé.
2008 : une première réforme des régimes spéciaux
C'est un premier pas vers ce qu'avait voulu faire Alain Juppé en 1995. La réforme de 2008 aligne les régimes spéciaux, jusqu'ici épargnés, sur les règles de la fonction publique en vigueur depuis 2003. Peu après l'accession de Nicolas Sarkozy à l'Elysée, la réforme de 2008, entre autres, fait ainsi passer la durée de cotisation de 37,5 à 40 années pour les agents d'EDF, de la SCNF ou encore de la Banque de France.
2010 : l'âge légal de départ est relevé à 62 ans
La réforme de 2010, pilotée par Eric Woerth, vient s'attaquer à l'âge légal de départ à la retraite, relevé pour atteindre 62 ans en 2018, contre 60 ans auparavant. L'objectif est le même que celui des plans antérieurs : combler le déficit financier, évalué à 70 milliards d'euros d'ici à 2030.
Les secteurs public et privé se mobilisent contre la réforme, multipliant les grèves et les manifestations de mars à octobre. En vain. Le projet de loi aboutira et l'âge légal de départ sera bel et bien relevé à 62 ans pour l'ensemble des salariés du pays. Y compris les régimes spéciaux, qui bénéficient néanmoins d'aménagements.
Edouard Philippe : « Nous ne transigerons pas sur l’objectif de cette réforme des retraites » https://t.co/3NhWuS7be9 pic.twitter.com/cMYsvylFca
— CNEWS (@CNEWS) November 27, 2019
2014 : la prise en compte de la pénibilité
Alors que la gauche revient au pouvoir, la réforme Touraine met en place le «compte personnel de prévention de la pénibilité», qui permet à un salarié ayant effectué des métiers pénibles de partir plus tôt à la retraite. Par ailleurs, la durée d'assurance nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein est de nouveau relevée, en vue d'atteindre 43 ans à l'horizon 2035.
2019 : vers un système unique par points
La réforme Macron ne vise pas à modifier les «paramètres» du système de retraites existant, mais à changer le «système» lui-même. L'objectif est de remplacer le système actuel par annuité par un système «universel» par points, appliqué par exemple en Suède ou en Allemagne. Ce qui ferait disparaître, de fait, les régimes spéciaux des entreprises publiques et les régimes des fonctionnaires, dès lors alignés sur ceux des salariés du privé. Un big bang social qui n'en finit plus de cristalliser la colère des Français, en témoigne l'horizon du 5 décembre, jour d'une grande grève nationale contre la future réforme.