Le plus grand scandale pédophile en France ? Le chirurgien Joël Le Scouarnec, qui a pratiqué dans de très nombreux hôpitaux, est renvoyé aux assises pour des actes pédophiles qui pourraient concerner près de 250 victimes.
Une fillette de six ans à l’origine de l’affaire
L’instruction visant Joël Le Scouarnec a débuté en 2017 grâce à la parole d’une jeune fille de six ans, rapporte La Charente Libre. Alors qu'elle rentrait d’une promenade avec son père où ils venaient de croiser le chirurgien, qui était leur voisin, l’enfant a confié à son père que l’homme lui avait montré son sexe. Des examens gynécologiques et les questions des enquêteurs ont ensuite permis de penser qu’un viol aurait aussi été commis sur la fillette.
250 noms de victimes dans des carnets intimes glaçants
Suite au témoignage de la fillette, les gendarmes ont mené une perquisition au logement du chirurgien. Là, ils ont mis la main sur des carnets, comme des journaux intimes du docteur, où celui-ci notait en détail les abus sexuels commis sur des enfants. Les premières lignes remontent aux années 90. Au total, près de 250 noms de victimes potentielles ont été relevés par les enquêteurs, qui cherchent désormais à remonter chaque piste pour mettre à jour ce qui pourrait devenir la plus grosse affaire de pédophilie en France.
Pour l’heure, 209 d’entre elles ont été entendues par les enquêteurs et 184 plaintes ont été déposées. Au total, jusqu’à dix-huit hôpitaux pourraient avoir été le lieu des sévices (dans les Deux-Sèvres, le Morbihan, le Finistère, la Loire-Atlantique, la Vendée, la Mayenne, la Charente, la Charente-Maritime, l’Indre-et-Loire, l’Orne et le Nord), selon le JDD.
Un mode opératoire sordide
Spécialisé dans la chirurgie digestive, Joël Le Scouarnec aurait agressé ses victimes mineures (garçons et filles) durant leur passage à l’hôpital. Une source citée par La Charente Libre indique qu’il agissait parfois «en phase de réveil». «C’était un vivier facile pour lui», poursuit-elle.
Sur l’un des carnets dont le JDD a eu accès, Joël de Scouarnec écrit : «Au bloc, profitant de son sommeil, j’ai tripoté […] un grand garçon de 14 ans […] pendant quelques instants. Je me suis même fait surprendre par A.B…et j’ai alors palpé ses testicules pour donner le change. Dommage, car je l’aurais bien tripoté plus longtemps». Il raconte aussi la fois où il a «un peu caressé les fesses (d’une patiente), mais malheureusement, je n’étais pas seul avec la gamine, je n’ai pas pu aller plus loin dans mes attouchements».
Une personnalité effrayante
Décrit par le père de la petite fille qui a lancé l’alerte comme «quelqu’un d’assez snob», qui «ne parlait presque à personne», le chirurgien dissimulait chez lui une panoplie de prédateur. Lors de la perquisition des gendarmes, des poupées ont été retrouvées cachées sous son parquet, mais aussi des perruques, des objets sexuels ou des photos de lui, nu. Sur son ordinateur, des images à caractère pornographique ont été saisies.
En détention depuis mai 2017
Arrêté après les révélations de sa jeune voisine et les découvertes faites chez lui, Joël Le Scouarnec est incarcéré à la maison d’arrêt de Saintes depuis mai 2017. En parallèle de la gigantesque affaire qui a été dévoilée, il a été renvoyé devant la cour d’assises de la ville en mars dernier pour viols aggravés sur la petite fille et une nièce, ainsi que pour agressions sexuelles sur une autre nièce et une enfant qu’il a opéré. Le premier procès devrait se tenir en 2020.
La défense du chirurgien
Contacté par Libération, l’avocat du chirurgien reconnaît bien l’existence des carnets. «Des centaines, voire des milliers de pages ont effectivement été retrouvées. Mon client ne conteste pas les avoir rédigées mais selon lui ces descriptions seraient de l’ordre du fantasme», indiquait maître Thibaut Kurzawa. Selon lui, il est impossible de savoir à ce jour si ce qu’il y est écrit s’est réellement passé. Face à la juge, Joël Le Scouarnec aurait confirmé en janvier 2019 «que ce suit est écrit dans ces journaux intimes correspond pour partie à ce que j’ai fait réellement», avance le JDD.
Concernant la seconde affaire, il rejette les deux accusations de viols mais ne conteste pas les atteintes sexuelles, «sans pénétration», précise l’avocat.
condamné à du sursis en 2005
Joël Le Scouarnec n’était pas un inconnu pour la justice. En 2005, il faisait partie de 2 468 personnes à être identifiées en France comme fréquentant des sites pédopornographiques. Alors qu’ils mentionnent dans ses carnets des centaines de téléchargements de «photos de petits garçons nus» et de «petites filles», les forces de l’ordre ne trouvent rien, à l'époque, en perquisitionnant son matériel informatique (sans aller visiter son bureau à l’hôpital). «Quel soulagement», écrit-il alors. Le tribunal correctionnel de Vannes (il vivait à l’époque en Bretagne) l’avait alors condamné à quatre mois de prison. Sans obligation de soins.
Omerta familiale
L’affaire pourrait mettre en lumière le silence familial dont il a bénéficié. Selon les carnets de Joël Le Scouarnec, sa femme (qui l’a quitté après sa condamnation de 2005 mais est restée proche), la sœur de celle-ci, mais aussi la propre sœur du chirurgien connaissait sa pédophilie, sans en avoir parlé. Cette dernière, dont l’un des filles est tombée entre ses mains, explique au JDD se sentir coupable pour toutes les victimes d'après 1999 (date à laquelle elle l’a appris). «J’aurais dû porter plainte», regrette-t-elle, indiquant qu’à l’époque, «la parole n’était pas libérée».
aveuglement du milieu professionnel
Un grave dysfonctionnement au sein de la hiérarchie médicale a également permis à Joël Le Scouarnec de continuer ses sévices en toute tranquillité. Après sa première condamnation de 2005, et alors qu’il s'est installé à Quimperlé, le conseil départemental de l’ordre des médecins (CDOM) du Finistère apprend son passif et fait un signalement à la Ddass (Direction départementale des affaires sanitaires et sociales), seul compétente pour prendre des sanctions contre un chirurgien. Aucune décision n'est prise. Sur son dossier apparait néanmoins, à partir de 2006, sa condamnation judiciaire. Lorsqu’il déménage à Jonzac, en 2008, le CDOM de Charente-Maritime est donc obligatoirement informé de ses penchants. La direction de l’hôpital aurait même été informée directement par le chirurgien, affirme le JDD.
Ce qui ne l’a pas empêché de continuer à opérer, et même à obtenir une dérogation pour exercer trois ans de plus, après l’âge limite de 65 ans. Il apparait même que sa radiation de l'Ordre, en 2017, lorsque l’affaire a éclaté, a été faite à sa demande. Interrogé, le vice-président du Conseil national de l’ordre des médecins, dont l’organisme est, en 2009, devenu compétent pour les sanctions disciplinaires des praticiens, a indiqué qu’«à l’époque, aucun nouvel élément n’est porté à notre connaissance. Et en 2006, le juge qui aurait pu assortir la peine d’une restriction de l’exercice ne l’a pas fait». De quoi expliquer comment le professeur Le Scouarnec a pu passer entre les mailles du filet aussi longtemps.