«L'hébergement, c'est la base du soin»: la salle de consommation de drogues à moindre risque de Strasbourg se prépare à loger début 2020 une dizaine de toxicomanes, une expérience unique en France, inspirée par des initiatives canadienne et allemande.
A l'étage au-dessus de la «salle de shoot» strasbourgeoise, les murs d'anciennes salles de chirurgie thoracique viennent d'être écorchés par le désamiantage. Ces vastes espaces hauts de plafond seront bientôt transformés en chambres, individuelles et pour des couples, un espace de vie et une cuisine partagés. Sur les quelque 500 inscrits de la «salle de shoot», dix, puis à plus long terme vingt, pourront y être hébergés pendant quelques mois, le temps de se soigner, avant de rejoindre un hébergement plus pérenne.
Ils accéderont à leur hébergement par une entrée séparée de celle utilisée par les toxicomanes venus s'injecter, inhaler ou sniffer la drogue qu'ils apportent dans cette salle baptisée Argos, unique en France avec celle du quartier de la gare du Nord à Paris. Ici, pas de riverains, pas de polémique, puisque la salle, ouverte depuis l'automne 2016 dans le cadre d'une expérimentation nationale, est installée au sein d'un hôpital, à distance de toute habitation.
«La moitié des personnes accueillies n'a pas d'hébergement. Si vous avez une infection pulmonaire, une hépatite, un abcès, on peut organiser les soins chez vous avec une infirmière, mais si vous êtes à la rue, ces soins de base ne peuvent pas être réalisés», explique le Dr Alexandre Feltz, adjoint à la mairie de Strasbourg chargé de la Santé. Alors que «l'espérance de vie des gens à la rue est la même que celle des pays les plus pauvres au monde -autour de 45 ans-, il est très important de sortir les gens de la rue, notamment les toxicomanes et les gens malades», souligne-t-il.
«La prévalence de l'hépatite C a largement baissé mais il reste 20 à 25% de prévalence chez les usagers», complète Gauthier Waeckerle, directeur de l'association Ithaque, qui gère la salle.
Cette maladie se soigne aujourd'hui en un à deux mois... à condition de suivre un traitement avec régularité. Nombre des usagers d'Argos restent aujourd'hui à la porte du système «classique» d'hébergement d'urgence en raison de l'interdiction d'y consommer des drogues mais également du refus d'accueillir leurs chiens.
Des chiens qui seront les bienvenus dans l'hébergement, dans la limite de 3 ou 4 animaux à la fois. «Plus de la moitié des personnes qui viennent à la salle ne fréquentaient pas d'autre dispositif», rappelle M. Waeckerle, qui espère pouvoir loger 60 à 80 résidents par an, avec une rotation tous les deux mois environ.
Ceux qui quitteront cet hébergement devraient pouvoir basculer vers un dispositif dédié aux personnes en errance et souffrant d'addictions ou de maladies mentales, qui compte 100 places à Strasbourg. Si le budget couvrant l'aménagement du lieu est bouclé - 750.000 euros d'investissement, répartis entre la ville, l'Agence régionale de santé (ARS) et les hôpitaux universitaires de Strasbourg - celui qui permettra de faire fonctionner l'hébergement reste à consolider.
Parmi les sources d'inspiration de l'hébergement figure le site allemand «East Side». Sur 3.000 m², dans une usine désaffectée proche de Francfort, il offre à des toxicomanes des services allant de l'hébergement au travail en passant par la salle d'injection.
A Vancouver, un hébergement pour malades du VIH, rattaché à un hôpital, accueille 80% d'usagers de drogues. Son espace de consommation est ouvert aux patients mais aussi aux proches qui leur rendent visite.
Les initiateurs d'Argos espèrent inspirer d'autres expérimentations en France, alors que la situation de la salle de shoot parisienne, très atypique par le nombre de ses usagers, s'avère plus difficile à répliquer.