Alors que l'incendie de Notre-Dame a poussé Emmanuel Macron à reporter sine die sa réponse au grand débat national, les fuites dans la presse ont donné un aperçu de ce qu'il prévoyait d'annoncer. De quoi entraver l'effet de surprise d'un président qui joue là son quinquennat. Décryptage de Philippe Moreau-Chevrolet, spécialiste en communication politique.
En quoi le drame de Notre-Dame a-t-il contrarié le plan et l’agenda d’Emmanuel Macron ?
Alors qu’il avait tout prévu, sa réponse a été mise en berne par l’incendie. C’est aujourd’hui une communication de crise qui s’est installée. Avec un discours centré sur la reconstruction de la cathédrale, qui devient un outil pour Emmanuel Macron, dont l’un des thèmes favoris est la reconstruction du pays. Notre-Dame devient une métaphore de son combat politique.
Les annonces qui ont fuité sont-elles susceptibles de calmer la colère ?
Du fait qu’elles ont fuité, sans créer l’«effet waouh» voulu par le gouvernement, ces annonces ont fait un peu «pschitt», comme dirait Jacques Chirac. Parce qu'il n’y a pas de dramatisation, de mise en scène, on s’aperçoit de la légèreté de ces annonces, de la faiblesse de la réponse qui avait été prévue. On a juste les faits, les actes, sans le pathos. Et les faits sont des mesures fiscales qui sont loin d'être révolutionnaires, ainsi qu'une annonce destinée à séduire le public et les gilets jaunes en désignant une victime symbolique : l’Ecole nationale d’administration (Ena). Or, sa suppression risque de brouiller son message par rapport à sa base électorale. N’oublions pas que Nathalie Loiseau est une ancienne directrice de l’Ena, c’est un peu contradictoire. D'autant plus que toutes ces mesures semblent improvisées, pas cohérentes les unes avec les autres.
La baisse des impôts, priorisée par le gouvernement, répond-il vraiment à la demande de justice fiscale ?
Oui, en partie, avec la réindexation des petites retraites sur l’inflation, ou les réductions d’impôts sur les revenus modestes et les classes moyennes. Mais c’est un catalogue de petites mesures, ce n’est pas la révolution d’un système.
Le gouvernement peut-il éteindre la colère sans changer de cap politique ?
A priori non. Les premières conclusions du gouvernement sur le grand débat ont été : baisse des impôts et réduction des dépenses publiques. Soit plus ou moins le programme initial du gouvernement, à savoir une politique d’austérité. Ce n’est pas du tout ce qui était réclamé par les Français, et encore moins les gilets jaunes. Il y a une volonté du gouvernement de remplacer les thèmes issus de la consultation par des mesures qui lui convenaient. Mais cela ne prend pas, et l’exécutif n’a pas de plan B. C’est plus inquiétant que rassurant. La porte -parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, avait quand même martelé que «rien ne sera plus comme avant» après le grand débat…
Selon une source de l’Elysée, ces mesures ne sont qu’un premier jet, et d’autres surprises seront annoncées la semaine prochaine… Que pourrait-il ou devrait-il sortir du chapeau pour s’en sortir ?
Déjà, cela révèle une certaine improvisation. C’est une manière de gagner du temps. Finalement, il n’y a que trois mesures qui pourraient éteindre la crise : d'abord, le référendum d’initiative citoyenne, qui irait plus loin que les référendums locaux que Macron a annoncés. Ensuite, le rétablissement de l’ISF, qui lui permettrait de montrer qu’il a de l’humilité et casser son image de «président des riches», mais qu’il ne fera pas car il en a fait le symbole majeur de sa politique. Enfin, la fin de la limitation à 80 km/h, ce qui reviendrait à désavouer Edouard Philippe, qui l’avait défendue. C’est d’ailleurs une autre solution : changer de Premier ministre, pour tourner la page Juppé et entrer dans une nouvelle ère du quinquennat, avec une nouvelle équipe et une nouvelle façon de parler aux Français. Ce qui lui permettrait d’appliquer ses réformes d’une manière plus conforme à la culture française du débat.
Au vu du contexte de Notre-Dame, qu’attendre de la mobilisation des gilets jaunes samedi prochain ?
C’est très difficile à prévoir. Les annonces de Macron peuvent créer de la déception et relancer le mouvement. Mais une chose est sûre : du fait de l’ombre de Notre-Dame, quelle que soit la mobilisation, elle sera très mal accueillie par l’opinion en cas de violences. Si l’exécutif ne maîtrise pas l’ordre public, cela va donner le sentiment que personne n’est à la barre. En cas de débordements, il ne pourra y avoir que des perdants.