Avant même son coup d'envoi, le grand débat voulu par Emmanuel Macron démarre mal, avec le départ de son organisatrice Chantal Jouanno, critiquée pour son salaire élevé, alors que le pouvoir d'achat s'annonce comme la préoccupation n°1 de cette grande consultation destinée à apaiser la colère des «gilets jaunes».
Prenant acte de la décision de l'ancienne ministre, Matignon a immédiatement annoncé qu'à l'issue du séminaire gouvernemental prévu mercredi à l'Elysée, le Premier ministre présenterait une nouvelle organisation, à quelques jours du début de ce débat qui doit s'appuyer par des réunions partout en France jusqu'en mars.
«J'ai décidé de me retirer du pilotage de ce débat», a-t-elle déclaré à France 2, estimant que les débats nés sur son salaire de 14.666 euros était «légitimes» mais que les «conditions de sérénité nécessaires pour ce débat» n'étaient pas assurées.
L'ancienne ministre de Nicolas Sarkozy a toutefois précisé rester à son poste de présidente de la CNDP et avoir prévenu de sa décision Emmanuel Macron ainsi qu'Edouard Philippe.
Comprenant très vite qu'elle serait jugée illégitime pour le grand débat censé rassembler tous les Français, la haute fonctionnaire a décidé de renoncer en 24 heures, après une volée de critiques sur les réseaux sociaux et de l'opposition.. Comme le député RN Sébastien Chenu qui s'est demandé sur LCI «quel est le taré chez En Marche qui a accepté un contrat qui lui donne un salaire de ce montant ?».
Son départ oblige l'exécutif à imaginer d'urgence une nouvelle organisation.
Le gouvernement proposera «à l’issue du séminaire gouvernemental une organisation et un mode de pilotage du grand débat national qui présenteront des garanties équivalentes en termes d’indépendance et de neutralité», a assuré Matignon.
Emmanuel Macron doit aussi publier mardi une lettre aux Français pour expliquer comment se passera ce débat encore flou.
Sur le fond, l'exécutif doit également résoudre la contradiction entre un débat en principe ouvert sur tous les sujets, mais qui ne remette pas en cause des réformes déjà décidées, une ligne rouge tracée d'avance par Emmanuel Macron.
Taxe d'habitation
Il lui faut éviter l'accusation d'organiser un débat joué d'avance, impératif s'il veut maintenir la petite remontée de popularité obtenue par l'annonce le 10 décembre de mesures sociales d'urgence pour les faibles revenue, d'un total de 10 milliards d'euros.
La confiance des Français en Emmanuel Macron (+5) et Edouard Philippe (+7) a un peu rebondi début janvier après l'effondrement du mois précédent, selon un sondage Ifop-Fiducial diffusé mardi. Avec 28% d'approbation, le chef de l'Etat reste bas mais ratrappe l'essentiel du chemin perdu depuis le début de la crise des «gilets jaunes».
Aussi le gouvernement et l'Elysée ont-ils dévoilé cette semaine un des sujets qu'ils accepteront de revoir si les Français le demandent : la suppression de la taxe d'habitation pour les 20% plus riches, déjà annoncée mais pas encore en vigueur.
Revenir sur ce choix permettrait à l'exécutif de donner des gages aux «gilets jaunes» et fournirait d'opportunes recettes fiscales, qui financeraient en partie les mesures d'urgence.
L'éventualité de ce revirement, qui a donné lieu à un flou gouvernemental, a finalement été confirmé par l'Elysée mardi. Au risque de mécontenter la base électorale de LREM et une partie de la droite.
Cette mesure répondrait à la demande de justice fiscale, l'une des autres principales demandes consignées dans les cahiers de doléances mis en place dans 5.000 mairies de petites communes.
Les doléances fusent parfois aussi dans toutes les directions mais une seule revient en boucle : la hausse du pouvoir d'achat.
D'autres prônent de diminuer les taxes, remplacer le Sénat, taxer les revenus du capital, lutter contre les lobbies, rétablir des services de proximité, augmenter le nombre de fonctionnaires dans les hôpitaux et les Ehpad, fermer l'Ena... Avec la fracture numérique en ligne de mire : «Supprimer toutes les démarches administratives par internet».
«Il faut quand même qu'il se passe des choses suite à cette consultation... Donc il faudra que le président de la République donne des engagements très précis dans sa lettre pour que les citoyens aient véritablement envie de participer», souligne le président de l'AMRF, Vanick Berbérian.
D'autant que sur le terrain, le grand débat suscite beaucoup de méfiance. «Mes concitoyens sont pessimistes, ils disent 'ça ne sert à rien', 'c'est de l'enfumage'. Ils sont très méfiants vis-à-vis des politiques», souligne Jean-Paul Ryckelynck, maire de Haveluy, une commune du Nord de 3.100 habitants.