Spontané, protéiforme et non encadré, l'insaisissable mouvement des «gilets jaunes» inquiète l'exécutif, qui a déjà mis en garde contre le blocage des routes samedi, et déstabilise les partis qui tentent de se positionner, au risque d'accusations de récupération.
À quatre jours de l'appel lancé par des collectifs de citoyens contre la hausse des prix des carburants, l'ampleur du mouvement reste difficile à prédire. Coagulera-t-il le mécontentement accumulé autour du pouvoir d'achat en général ? «Même si c'est irrationnel, c'est réel», a estimé mardi le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner à propos du mouvement, en notant qu'avec le repli des cours mondiaux du brut, les prix à la pompe refluent.
Les mesures «d'accompagnement» bientôt annoncée
«Très peu» d'organisateurs ont déclaré en préfecture les manifestations prévues, s'est-il aussi inquiété, ce qui complique d'autant les pronostics quant à la participation et, selon le gouvernement, fait peser des risques sur la sécurité des personnes. Ainsi n'acceptera-t-il aucun «blocage total» le 17 novembre, et les forces de l'ordre interviendront le cas échéant, a assuré le ministre.
D'ici là, l'exécutif espère désamorcer la grogne en annonçant par la voix du Premier ministre des mesures d'«accompagnement» des Français. Une bonne partie d'entre elles était actée mardi à la mi-journée, selon des sources concordantes, et sauf imprévu, Édouard Philippe devrait les annoncer d'ici mercredi matin, en amont de l'intervention d'Emmanuel Macron dans la soirée sur TF1 depuis le porte-avions Charles-de-Gaulle.
Comme attendu, le nombre de bénéficiaires du chèque énergie devrait être étendu, et près d'un million de primes à la conversion être financées d'ici à la fin du quinquennat, contre 500.000 prévues initialement. Une campagne de communication sur le thème «La pollution tue» a également été opportunément lancée dans la nuit de lundi à mardi.
Récupération politique ?
Un membre du premier cercle du président reconnaît que «le gouvernement n'explique pas assez ce qu'il fait» en la matière, mais défend ce «marqueur» écologique qu'est la fiscalité carbone. «Quand on a aimé Nicolas Hulot, on assume d'avoir une fiscalité» destinée à changer les comportements, avait lancé fin octobre le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux.
Du côté de l'opposition, le mouvement oblige les partis à se positionner, parfois au prix de contorsions pour concilier défense de l'écologie et du pouvoir d'achat. D'autant qu'en face, le gouvernement crie à la «récupération politique» par le Rassemblement national de Marine Le Pen et Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan, mais aussi La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. C'est aussi parce qu'ils ne veulent pas être confrontés à la même accusation que les syndicats n'ont lancé aucun appel à rallier le mouvement.
Si Marine Le Pen ne participera pas aux blocages, car selon elle «la place d'un chef de parti n'est pas au sein des manifestations», elle a été parmi les premiers à assurer que les élus RN seraient «aux côtés des manifestants», et prédit une mobilisation «importante».
Nicolas Dupont-Aignan, qui va jusqu'à distribuer lui-même, gilet jaune sur le dos, des tracts dans les stations-services, avait dès fin octobre appelé à «bloquer toute la France le 17 novembre». Dans les rangs des Républicains, le président du parti, Laurent Wauquiez, qui participera à une manifestation dans son département de la Haute-Loire, a toutefois bien souligné qu'il n'appelait pas au blocage.
À gauche, le patron de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon souhaite le «succès» de la mobilisation à laquelle participeront les députés LFI Alexis Corbière, Adrien Quatennens et François Ruffin, «à titre personnel». Mais Clémentine Autain, qui préfère lutter «contre l'injustice fiscale» plutôt que défendre «un ras-le bol fiscal», n'ira pas. Dans un autre exemple d'acrobatie, le premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure dit «entendre la colère» exprimée. Tout en évoquant les «formes parfois critiquables» du mouvement.
La séquence est d'autant plus compliquée pour les écologistes d'EELV, qui défendent la taxe carbone et n'appellent donc pas à manifester. Mais leur chef de file Yannick Jadot veut s'adresser aux ménages les plus modestes, qu'il appelle à aider dans cette transition écologique, tout en s'indignant du peu d'effort des constructeurs automobiles, épargnés selon lui par le gouvernement.