Le gouvernement, par la voix de la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a annoncé, dimanche 21 octobre, le lancement d'une nouvelle enquête pour tenter de lever le mystère entourant plusieurs cas groupés de bébés nés sans bras ou sans mains. Le point sur cette affaire qui suscite polémiques et inquiétudes.
Combien de bébés sont concernés ?
Ces cas de bébés nés sans mains, bras ou avant-bras, ont été observés dans l'Ain (7 naissances entre 2009 et 2014), en Loire-Atlantique (3 naissances entre 2007 et 2008) et dans le Morbihan (4 naissances entre 2011 et 2013), à chaque fois dans un périmètre restreint.
Pour l'Ain, par exemple, les sept cas ont tous été recensés dans un secteur d'à peine 17 km² autour du village de Druillat.
A l'origine de cette révélation, et la première à avoir rendu l'affaire publique, Emmanuelle Amar, la directrice du Remera, le plus ancien des six registres des malformations congénitales de France.
Pour mémoire, cette structure, basée à Lyon, avait été fondée en 1973 après le scandale du thalidomide, un anti-nauséeux qui avait fait naître des milliers d’enfants sans bras entre 1957 et 1962.
Après enquête, Santé publique France, soit l'agence nationale de santé publique, a rendu, jeudi 4 octobre, un rapport sur ces malformations congénitales, mais aucune cause n'a pu être mise en évidence, et ce pour les trois régions concernées, a-t-elle affirmé.
Une absence de réponse «insupportable» pour le gouvernement qui a donc lancé de nouvelles investigations, comme le réclamaient d'ailleurs plusieurs personnalités soupçonnant de possibles causes environnementales.
Les pesticides en cause ?
Certains écologistes notamment, à l'image de Yannick Jadot, estiment «qu'il est très probable que ces malformations soient liées aux pesticides».
.@yjadot "scandalisé" par l’affaire des bébés nés sans bras. Il est "très probable que ces malformations soient liées aux pesticides" dit-il, pointant un "faisceau de présomption". Il demande une étude épidémiologique. #RTLMatin pic.twitter.com/eRAKOpSpFA
— RTL France (@RTLFrance) 8 octobre 2018
Au micro de RTL, le 8 octobre dernier, le député européen a ainsi expliqué que «toutes les familles qui ont été touchées vivent à côté de champs de maïs et de champs de tournesol».
Indiquant «qu'il était absolument scandalisé par cette affaire», l'ancien candidat à l'élection présidentielle a affirmé qu'en France, «on ne veut pas voir» les effets des pesticides sur la santé.
Yannick Jadot explique encore que «le financement de l'organisme qui étudie les malformations à la naissance est en baisse (...). Ce n'est pas la première fois en matière de vigilance sanitaire».
La fiabilité du rapport de Santé Publique France remise en cause par des scientifiques
Deux semaines après la publication du rapport de Santé Publique France, trois biostatisticiens, interrogés par Le Monde le 16 octobre, ont remis en cause les conclusions de l'agence sanitaire pointant des erreurs méthodologiques «grossières», voire «indignes».
Comme le souligne France Info, les scientifiques notent, entre autres, que le compte rendu sur la situation dans l'Ain - qui écarte toute anomalie statistique - n'a pas été signé par ses auteurs.
Interrogé par Le Monde, l'épidémiologiste et biostatisticien Jacques Estève relève en outre des erreurs de l'agence qu'il juge «incompréhensibles».
«Un étudiant de première année d'université serait surpris d'apprendre que sept cas observés dans une population de 5.738 naissances, où la probabilité d'en observer un seul est de 1,7 sur 10.000, ne soit pas un événement exceptionnel, dit il».
Et de corriger : «Une approche un peu plus sophistiquée montre que l'observation d'un nombre de cas supérieur ou égal à sept dans ces conditions a une probabilité égale à 7,1 pour 100.000».
La lanceuse d'alerte qui a révélé l'affaire dans la tourmente
De plus en plus étonnant, Le Parisien, dans son édition du 18 octobre, révèle qu'Emmanuelle Amar, la première à avoir rendu publique l'affaire, fait l'objet d'une procédure de licenciement.
La scientifique est au centre d’une intense polémique, sur fond de problèmes de financement de la structure qu’elle dirige.
Le Remera, le plus ancien des six registres des malformations congénitales de France ne devrait plus bénéficier de subventions de l'agence Santé publique France.
Il serait menacé de fermeture et d'un éventuel démantèlement au 31 décembre 2018 (dissolution de la structure) à défaut de nouvelles subventions.
L’eurodéputée écologiste Michèle Rivasi et les deux ex-ministres de l'Écologie, Delphine Batho et Corinne Lepage ont appelé à soutenir Emmanuelle Amar, qu'elles qualifient de «lanceuse d'alerte».
Mais pour l’épidémiologiste Ségolène Aymé, qui préside le comité chargé d'évaluer les registres, dont le Remera, Emmanuelle Amar «n’est pas une lanceuse d’alerte», a-t-elle fustigé dans un communiqué très virulent.
Elle dénonce les «mensonges» et «l’attitude irresponsable» d'Emmanuelle Amar après que celle-ci a alerté l'opinion et les pouvoirs publics. Des «attaques calomnieuses», a de son côté répliqué l’intéressée.
Santé Publique France se défend à son tour
Fragilisée par toute cette affaire, Santé Publique France, par la voix de François Bourdillon, a de son côté dénoncé une «campagne calomnieuse», face aux accusations dont l'agence fait l'objet.
Depuis la Guadeloupe, où il assistait à un colloque sur le chlordécone (un pesticide ultra-toxique utilisé aux Antilles sur la période 1972-1993, ndlr), François Bourdillon, a ainsi dénoncé, le 19 octobre, «une campagne calomnieuse» dans cette affaire.
«En métropole je suis agressé, comme quoi je veux casser le thermomètre, cacher la réalité des choses alors que l'agence est probablement une de celles qui font le plus» en matière de protection des populations et pour mesurer l'impact des pesticides sur la santé, s'est-il défendu.