Consommation, croissance, investissements étrangers... Une victoire de la France au Mondial de football aura-t-elle des répercussions sur la santé économique du pays ? Les avis croisés de Luc Arrondel, économiste du sport et chercheur au CNRS, et de Jean-Baptiste Guégan, expert en géopolitique du sport.
On parle souvent d'un «boom» économique pour le pays vainqueur de la Coupe du Monde. Est-ce un mythe ou une réalité ?
Luc Arrondel : «C’est un mythe. Cela n’a pas d’impact direct sur le produit national brut, sur la croissance, seulement sur le bonheur national brut. Car une victoire pourrait renforcer l’optimisme de la population et sa confiance dans l’avenir, et ainsi engendrer davantage de consommation de certains biens – les maillots, les télévisions ou les boissons dans les bars, bien sûr, mais aussi des biens convoités depuis longtemps, comme un appartement ou une voiture. Mais cela se fera au détriment d’autres types de consommation. Finalement, c’est seulement dans certains secteurs que l’embellie se fera sentir. Celui du football profiterait évidemment d’une victoire de la France : après la victoire au Mondial de 1998, on a par exemple observé une recrudescence du nombre de supporters qui allaient au stade, ou du nombre de licenciés de la Fédération française de football (FFF).»
La, la la, la, la, la la la la la la … il y a 20 ans jour pour jour, le #12juillet1998, l’@EquipedeFrance remportait sa 1re Coupe du monde.
A 4 jours d’une nouvelle finale, revivez cette victoire historique pour les Bleus ! #FiersDetreBleus #CDM18 #ArchivesGouv pic.twitter.com/VrHDCP5ORP— Gouvernement (@gouvernementFR) 12 juillet 2018
Jean-Baptiste Guégan : «C’est une réalité, mais l'effet n’est pas pérenne et il n’est pas si important que ça. Ce ne sera pas un boom économique, mais un "baby-boom". On va constater une surconsommation le 15 juillet [jour de la finale] si la France l’emporte, puis une augmentation de la consommation sur les mois suivants. Car une victoire aura un effet sur le moral des Français, qui vont moins penser à demain qu’au temps présent. Les ménages économiseront moins, ils vont dépenser davantage et surtout dans les articles de sport, mais donc les véritables gagnants seront surtout les grandes marques comme Nike et les équipementiers sportifs… Certains secteurs vont aussi profiter d’une victoire, comme les produits de saison (le rosé, par exemple), la restauration rapide ou la livraison à domicile. Mais c’est beaucoup d’effets de substitution – ce qui sera consommé d’abord dans tel domaine ne le sera plus ensuite dans d’autres. L’été va être euphorique, mais au-delà de trois mois et avec la rentrée des classes, l’effet économique va se dissiper.»
A plus long terme, la victoire peut-elle se répercuter sur les investissements étrangers ?
Luc Arrondel : «C’est difficile à mesurer, mais c’est possible que la France soit vue comme plus forte, plus compétitive. C’est une question de rayonnement du pays.»
Jean-Baptiste Guégan : «Quand un pays gagne, il fait l’actualité et apparaît aux yeux du monde. Il est donc regardé. Dès lors qu’il n’y a pas de problème en matière de sécurité (attentat terroriste, violences, débordements…), la France renverra donc l’image d’un pays accueillant, festif, sympathique. Et cela aura plusieurs conséquences. D’abord, attirer encore davantage de touristes, et ça, c’est bon pour le business. Même chose pour les produits français, dont l’image sera renforcée : c’est ce qu’on appelle la construction d’une image de marque nationale, ou nation branding. Et si Emmanuel Macron est stratégique, il va s’en servir. Il est fort possible qu’il lance des campagnes autour de cette France qui gagne. Et dans une Europe en proie à la montée des populismes, c’est essentiel.»
Au niveau social, quelles répercussions pourraient avoir une victoire ? Celle de 1998 a notamment généré un effet dit «black-blanc-beur»...
Luc Arrondel : «Il faut relativiser cet effet "black-blanc-beur", qui n’a été que temporaire et qui, selon les sociologues, était un leurre. N’oublions pas que quatre ans plus tard, en 2002, le Front national [désormais rebaptisé Rassemblement national] se hissait au second tour de la présidentielle. Ce qui est vrai, c’est qu’on note – du moins sur le moment –une euphorie générale, une cohésion sociale. A court terme, cela ne peut être que bon au niveau social, mais cela ne résoudra pas tous les problèmes.»
Jean-Baptiste Guégan : «Voir la diversité en France gagner ensemble, c’est quelque chose de rare – il n’y a qu’à voir la composition sociologique de l’Assemblée nationale pour comprendre. De toute façon, ce sera positif. On verra enfin des gens qui représentent la France d’aujourd’hui. Et ce, malgré le côté très conservateur du pays. Si les Bleus l’emportent, on s’en souviendra de la même manière qu’on se souvient du visage de Zidane sur l’Arc de triomphe, mais aussi de la marche qui avait suivi l’attentat de Charlie Hebdo en 2015 : une image d'unité, qui marque l’inconscient collectif sur le long terme.»
en cas de victoire, quel effet politique ?
Jean-Baptiste Guégan : «C’est similaire à l’impact économique : faible. La finale de l’Euro 2016, par exemple, n’a pas vraiment profité à François Hollande. Malheureusement, l’effet politique ne se ressent que dans les dictatures ou les régimes autoritaires. En réalité, la vraie retombée politique et économique, ce sera en termes d’image, de revalorisation du pays. C’est très psychologique comme impact, car il sera lié à la croyance, pour les Français, qu’on est un peuple qui gagne et qui peut gagner. La décennie des années 1990 a changé la mentalité des Français, en prouvant que la France pouvait littéralement gagner dans le sport, et donc gagner dans d’autres domaines.»
Luc Arrondel est co-auteur de L'argent du football (éd. Cepremap, 2018). Jean-Baptiste Guégan est l'auteur de Géopolitique du sport (éd. Bréal, 2017).