Après la découverte de glyphosate dans du miel, le parquet de Lyon a ouvert une enquête préliminaire pour «administration de substances nuisibles», une «première» saluée par les apiculteurs.
Sylvère Obry est apiculteur amateur dans l'Aisne. Cet ex-ouvrier agricole de 78 ans a 90 ruches et a l'habitude de vendre ses excédents au groupe Famille Michaud Apiculteurs, le plus gros acteur du miel en France (marque «Lune de Miel»).
Mais en février, le groupe lui refuse trois fûts de miel toutes fleurs, soit 900 kilos, en raison de la présence de glyphosate, herbicide qualifié de «cancérogène probable» par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Le syndicat apicole de l'Aisne, qui réunit 200 apiculteurs pour la plupart amateurs, décide alors début juin de porter plainte contre Bayer, auprès du parquet de Lyon, où se trouve le siège français du géant allemand de l'agrochimie, qui vient de racheter Monsanto, créateur de l'herbicide controversé.
A la suite de cette plainte, le parquet a décidé d'ouvrir une enquête préliminaire pour «administration de substances nuisibles» sans viser spécifiquement Bayer, a-t-on appris mercredi de source proche du dossier.
Le parquet est par ailleurs en lien avec le Pôle de Santé publique du tribunal de grande instance de Marseille sur ce dossier, selon cette source.
«C'est une bonne chose, pour moi mais aussi pour tous les autres apiculteurs qui vivent de ça. Il faut faire quelque chose, beaucoup de ruches crèvent», a réagi auprès de l'AFP Sylvère Obry.
Et si nécessaire pour l'enquête, ses trois fûts de miel sont toujours stockés «dans la grange».
«Je suis ravi qu'on prenne cette affaire très au sérieux et qu'on s'attaque au problème du miel en France (...) A ma connaissance, c'est une première», a estimé pour sa part l'avocat du syndicat apicole, Me Emmanuel Ludot.
«C'est une première», confirme l'Union nationale des apiculteurs de France (Unaf). «Ça prouve que malheureusement, il y a du glyphosate partout dans la nature. On n'y échappe pas, ni les abeilles», poursuit Gilles Lanio, président de l'Unaf et apiculteur dans le Morbihan.
Bayer de son côté indique simplement avoir appris l'information «par voie de presse» et précise n'avoir toujours pas été informé d'un dépôt de plainte.
«Non-dits» sur le miel ?
Il s'agit en tous cas de la première plainte déposée contre un produit Monsanto depuis que Bayer a racheté le géant de l'agrochimie américain, acquisition qui reste toutefois soumise à l'approbation définitive des autorités de la concurrence américaines.
Le glyphosate est l'herbicide le plus utilisé en France. Mis au point par Monsanto, qui l'a commercialisé sous la marque Roundup, il est désormais produit et commercialisé sous bien d'autres marques.
Sa licence a été renouvelée dans l'Union européenne pour cinq ans en novembre. Pour la France, le glyphosate sera interdit «dans ses principaux usages» d'ici 2021, et «pour tous les usages» d'ici 5 ans, a promis le gouvernement.
Interrogé début juin par l'AFP, Famille Michaud Apiculteurs avait indiqué que des «substances exogènes dont le glyphosate» étaient régulièrement détectées dans le miel. Sur la dernière récolte par exemple: 12% des lots fournis en France au groupe présentait du glyphosate au-dessus du seuil de 10 ppb et sept apiculteurs avaient dû reprendre leurs livraisons.
Les miels refusés de M. Obry présentaient eux une contamination à hauteur de 16 ppb, ajoutait le groupe, un niveau toutefois inférieur au seuil maximal de 50 ppb autorisé par la la réglementation européenne.
«Aujourd'hui il y a beaucoup de non-dits. Le miel est un cas particulier (…) car il est le seul produit alimentaire fait par un animal qui échappe à tout contrôle: l'abeille butine dans un rayon de 3,5 km autour de la ruche», expliquait alors Vincent Michaud, PDG du groupe.
En 2015, une enquête pénale sur la commercialisation par le groupe Bayer de l'insecticide Gaucho et ses conséquences pour les abeilles s'était soldée par un non-lieu. L'Unaf avait alors dénoncé «l'impuissance totale des juridictions pénales françaises à apporter une réponse efficace aux infractions environnementales».