«Mon téléphone, c'est ma dernière attache» : pour Patrick, comme pour de nombreux sans-abri, le mobile a pris une place centrale dans le quotidien, au point que les associations cherchent aujourd'hui à rattraper leur retard en la matière.
«Quand tu dois appeler tous les jours le 115 pour trouver un endroit où dormir et qu'il n'y a plus de cabine téléphonique, ou quand tu dois faire des démarches avec Pôle emploi, accessible quasiment uniquement sur internet, le téléphone portable est indispensable», explique celui qui, à 51 ans, en a déjà passé 14 dans la rue.
Son smartphone, il l'a acheté d'occasion pour «une cinquantaine d'euros», lorsqu'il s'est décidé il y a trois ans à «reprendre le chemin de l'insertion», lui qui avait tout quitté pour vivre en autarcie dans la forêt de Fontainebleau après la mort de sa femme.
Pionnière dans l'accompagnement vers le numérique des personnes en situation de précarité, l'association Emmaüs Connect, émanation d'Emmaüs, a distribué depuis sa création en 2013 plus de 10.000 téléphones portables et accompagné près de 30.000 personnes.
Pour son co-fondateur Jean Deydier, le mobile, et notamment le smartphone qui permet de naviguer sur internet, est devenu tout simplement «vital» pour répondre aux besoins immédiats des SDF mais aussi parce que «quand vous êtes à la rue, c'est votre dernière adresse».
«C'est un vrai outil de lien social, de liberté», insiste Christophe Louis, directeur de l'association Les Enfants du Canal. «Cela leur permet d'être raccordé au monde, de ne plus être totalement à l'écart de la société, et pour nous, c'est aussi plus facile de les joindre pour le suivi», indique-t-il à l'AFP.
Toutefois, reconnaît M. Deydier, «nous nous sommes rendus compte qu'investir dans de tels outils représentait une part importante de leur budget».
Pour faire baisser les coûts, Emmaüs Connect a noué des partenariats avec des entreprises pour racheter et reformater des smartphones usagés ou encore avec l'opérateur SFR qui lui fournit des cartes SIM que l'association alimente ensuite en recharges prépayées et revend quelques euros.
«Droit au rechargement»
Si, aujourd'hui, les associations s'accordent sur le caractère indispensable du téléphone portable, il n'en a, cependant, pas toujours été ainsi.
Jusqu'en 2015-2016, «beaucoup ne comprenaient pas qu'on investisse dans des téléphones portables quand, selon eux, l'urgence était dans la nourriture ou l'hébergement», raconte M. Deydier.
S'il reconnaît «une prise de conscience» du monde associatif sur le sujet, il estime qu'il reste de «nombreux obstacles». Formation des travailleurs sociaux (pas toujours en pointe sur le numérique), présence de branchements dans les centres d'urgence ou encore don de smartphones aux sans-abri : des progrès restent à faire.
«La problématique du rechargement n'est pas encore tout à fait pensée par les associations. Tous les lieux de mise à l'abri ne disposent pas de branchement pour charger son téléphone. Or, passé 24 heures, il faut qu'ils puissent recharger leur téléphone», souligne Christophe Louis, qui plaide pour «un droit au rechargement».
Cette «galère», Moussa, 35 ans, dont le quotidien se résume à passer d'un centre d'hébergement à un autre, la connaît bien : «Parfois je vais chez des commerçants de quartier mais certains refusent que l'on se branche. Sinon il y a la possibilité de le faire aux arrêts de bus, mais là encore c'est compliqué».
L'association Aurore, qui gère des structures d'hébergement d'urgence en Ile-de-France et dans cinq autres régions, a compris ce besoin et a installé des branchements dans chacun de ces centres.
Mais les demandes ne s'arrêtent pas là, pointe Johanne Rosier, directrice d'un centre d'hébergement d'Aurore, qui rapporte «que le wifi est dorénavant très demandé dans ces structures». «Il y a 10 ans de telles demandes n'existaient pas».