Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS Matin, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.
DIMANCHE 18 MARS
Un court séjour à Hambourg me permet de découvrir l’une des plus belles salles de concert d’Europe. Il s’agit de la Philharmonie dite de l’Elbe, puisqu’elle donne sur le fleuve qui traverse la deuxième ville d’Allemagne. Elle devait coûter 77 millions d’euros, elle en a coûté 789. Elle devait être achevée en 2010. Elle ne l’a été qu’en 2017. Retards et polémiques ont accompagné la réalisation de ce projet signé des architectes Herzog et de Meuron. Ils ont réussi le pari d’une structure de verre et d’acier qui ressemble à un immense voilier, reposant sur un cube de briques d’un ancien entrepôt de café et de cacao. C’est impressionnant.
Enfin inauguré, il y a tout juste un an, le bâtiment a connu un tel succès qu’il a fallu instaurer un système de tickets d’entrée pour accéder à la rotonde, à 37 m de haut. Les Hambourgeois comme les touristes ont en effet tous voulu emprunter le «tube», un escalator de 82 m en forme de tunnel, pour atteindre le «plaza» et bénéficier d’un panorama où l’on peut voir, d’un côté, tous les clochers de Hambourg, et, de l’autre, les kilomètres de grues du port commercial.
A l’intérieur, la salle de concert est stupéfiante de beauté et de recherche esthétique. L’acoustique est parfaite. Les matériaux sophistiqués et coûteux ont permis d’étouffer entièrement les vibrations des hélices des paquebots et les cris des sirènes de ces mêmes bateaux. On sent, dans la rue, dans les taxis, dans les restaurants, comme une fierté des habitants. Par la grâce d’un seul bâtiment, leur ville est devenue une attraction touristique d’ampleur.
MARDI 20 MARS
Il était précisément 17 heures, 15 minutes et 27 secondes quand il est arrivé, ce printemps, froid, neigeux, pluvieux. Entendions-nous les oiseaux qui, d’ordinaire, accompagnent la venue de cette saison que l’on croyait magique ? Nous n’entendîmes que leur silence. En effet, le même jour, grâce à la parution de deux études extrêmement sérieuses, la presse entière nous apprenait ce qui avait échappé à notre connaissance : en l’espace de quinze ans, l’équivalent de 30 % des oiseaux des champs a disparu. L’alouette, la «gentille alouette» de nos ritournelles d’enfance, est en danger. De même que le pinson, la tourterelle, le merle, la perdrix…
Tout cela est dû à l’usage de produits chimiques, en particulier utilisés sur le blé – les néonicotinoïdes. D’un seul coup, la presse, unanime, faisait état d’une «chute vertigineuse», d’un «effondrement écologique», d’une «forme de déclin catastrophique». Faudrait-il instaurer la «Journée des oiseaux», comme il existe déjà tant d’autres moments ainsi organisés pour nous concerner ?
MERCREDI 21 MARS
Une visite à l’exposition des photos inédites de Claude Azoulay, rue Guénégaud, à Paris, dans la galerie d’Anne et Just Jaeckin, en plein cœur de la rive gauche. Azoulay, on le connaissait aussi sous le sobriquet de Zouzou – il a fait partie, pendant quarante ans, de la légendaire brigade des photoreporters de Paris Match, avec Rizzo, Garofalo, Gragnon, et d’autres. Il a autant couvert les guerres (22 conflits) que les Festivals de Cannes (12) ; il a effectué plus d’un million de clichés au cours de 2 500 reportages. L’expo s’appelle Chapeau !, car Azoulay veut tirer son chapeau aux célébrités qu’il a pu saisir dans son objectif. Trente-six portraits, d’Isabelle Adjani à John Wayne.
J’ai été particulièrement frappé par deux grands cadres, au milieu de la galerie : deux hommes vus de dos. On reconnaît Churchill et Mitterrand. C’est fou comme le dos d’un homme d’Etat peut parler : on voit le poids du pouvoir et des épreuves sur leurs épaules. L’art de Claude Azoulay aura été, comme l’écrit Danièle Georget, de «courir après le hasard pour guetter l’instant magique».