Moins 60% de moineaux friquet depuis 10 ans, un tiers d'alouettes des champs disparues en 15 ans… Les oiseaux des campagnes françaises sont victimes d'un déclin «vertigineux», qui s'est encore intensifié depuis deux ans, selon de nouveaux recensements.
«Le printemps 2018 s'annonce silencieux dans les campagnes françaises», s'alarment le CNRS et le Muséum national d'histoire naturelle dans un communiqué commun, mardi, en estimant que «ce déclin atteint un niveau proche de la catastrophe écologique».
En zones agricoles, les populations d'oiseaux ont perdu en moyenne un tiers de leurs effectifs en 15 ans, montrent les relevés conduits depuis 1989 par le «Suivi Temporel des Oiseaux Communs» (Stoc), qui, au sein du Muséum, surveille aussi la situation dans les villes et les forêts.
«On ne prend pas de grands risques en disant que les pratiques agricoles sont bien à l'origine de cette accélération du déclin», a dit à l'AFP Grégoire Loïs, directeur-adjoint de Vigie-Nature, qui chapeaute le Stoc, car les oiseaux ne déclinent pas au même rythme dans d'autres milieux.
«Il y a un déclin léger sur le reste du territoire, mais rien à voir en termes d'amplitude», ajoute-t-il.
En zones agricoles, des espèces comme l'alouette des champs, la fauvette grisette ou le bruant ortolan, ont perdu en moyenne un individu sur trois en quinze ans. En Ile-de-France, la tourterelle des bois approche -90%.
Une autre étude, menée par le CNRS depuis 1995 dans les Deux-Sèvres, sur 160 zones de 10 ha d'une plaine céréalière typique des territoires agricoles français, enfonce le clou.
«Les populations d'oiseaux s'effondrent littéralement dans les plaines céréalières», constate Vincent Bretagnolle, écologue au Centre d'études biologiques de Chizé. «Les perdrix se sont presque éteintes dans notre zone d'étude...»
Selon ces recherches, en 23 ans, l'alouette a perdu plus d'un individu sur trois (-35%), la perdrix grise huit individus sur dix...
«Effondrement sous nos yeux»
«Ce qui est alarmant, c'est que tous les oiseaux du milieu agricole régressent à la même vitesse. Cela signifie que c'est la qualité globale de l'écosystème agricole qui se détériore», analyse le chercheur.
Grosses ou petites, migratrices ou pas, toutes les espèces sont concernées, probablement du fait de l'effondrement des insectes.
«Il n'y a quasiment plus d'insectes, c'est ça le problème numéro un», souligne M. Bretagnolle.
Car même les volatiles granivores ont besoin d'insectes à un moment dans l'année, pour leurs poussins.
Cette disparition massive est concomitante à l'intensification des pratiques agricoles ces 25 dernières années, plus particulièrement depuis 2008-2009, période qui correspond à la fin des jachères imposées par la Politique agricole commune, à la flambée des cours du blé, à la reprise du recours massif au nitrate et à la généralisation des insecticides néonicotinoïdes, ajoutent le CNRS et le Muséum dans leur communiqué.
Selon M. Loïs, le constat est similaire en Europe, notamment dans l'ouest du continent.
Selon deux études récentes, l'Allemagne et l'Europe ont perdu 80% d'insectes volants et 421 millions d'oiseaux en 30 ans.
Les scientifiques français s'interrogent sur les raisons de «l'accélération très forte» de ce déclin constatée en 2016 et 2017, et à ce stade largement inexpliquée. Ce qui les a conduits à diffuser ce communiqué commun mardi, sans attendre de voir leurs études publiées dans une revue scientifique.
«On a l'impression qu'il y a une forme d'effondrement en train de se produire sous nos yeux», dit M. Loïs. «Cette accélération est-elle liée à la multiplication des facteurs? A une nouvelle pratique agricole dommageable qu'on n'aurait pas encore identifiée? A-t-on franchi un seuil ?»
De quoi redouter un «printemps silencieux», comme le «silent spring» prédit par la célèbre écologue américaine Rachel Carson il y a 55 ans à propos du DDT, finalement interdit ?
«Si cette situation n'est pas encore irréversible, il devient urgent de travailler avec tous les acteurs du monde agricole, et d'abord les agriculteurs, pour accélérer les changements de pratiques», appellent le Muséum et le CNRS.