Le retour des jihadistes depuis les zones de combat irako-syriennes est un sujet sensible pour Paris : les transférer en France pose question pour la sécurité nationale mais les laisser juger en Syrie soulève des problèmes juridiques au vu du chaos qui règne dans le pays. Dans quel cadre légal peut-on opérer ?
Quel pays compétent pour juger ces jihadistes ?
La France est compétente car il s'agit de ressortissant français, mais aussi car l'infraction qui les vise, l'association de malfaiteurs terroriste criminelle, a débuté sur le territoire. Elle est caractérisée dès que la personne prépare son départ vers les zones de combat. La France a donc une compétence territoriale, tout comme la Syrie et l'Irak où les faits reprochés ont été commis par la suite.
Par ailleurs, selon le Code pénal, «la loi française s'applique aux crimes et délits qualifiés d'actes de terrorisme (…) commis à l'étranger par un Français». Mais ce texte se heurte au principe du droit international de la souveraineté des Etats dans lesquels les jihadistes ont été capturés. Ces pays ont le droit «de décider s'ils veulent juger ces femmes et ces hommes ou au contraire (...) les rendre au pays de leur nationalité», a relevé en novembre le procureur François Molins, chef du parquet antiterroriste. Contrairement à l'Irak, la souveraineté de l'Etat syrien est fortement diminuée au vu du chaos qui règne dans le pays.
Autre question épineuse : Paris peut-elle laisser un ressortissant aux mains d'un Etat qui pratique la peine de mort comme l'Irak? «Il est interdit d'extrader un Français vers un pays qui applique cette sentence. Le rapatriement de nos ressortissants qui risquent cette condamnation devrait donc s'imposer même s'il n'apparaît pas y avoir à ce jour de jurisprudence en ce sens dans ce cas précis», estime Patrick Baudouin, président d'honneur de la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH).
Des retours «au cas par cas» ?
Emmanuel Macron a assuré que le sort des femmes et enfants serait examiné au «cas par cas», une ligne dénoncée par les avocats et familles des femmes concernées.
L'avocat Henri Leclerc, président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme (LDH), s'interroge sur la légalité de cette doctrine. Il s'appuie sur le Code de procédure pénale, selon lequel «les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles».
Anne-Laure Chaumette, maître de conférence à l'université Paris Nanterre, n'est «pas choquée» par cette politique : elle met en avant «l'individualisation de la peine» prévue par la loi. «Il faut des faits parfaitement identiques pour exiger un droit identique», poursuit-elle.
Les jihadistes jugés au Kurdistan syrien ?
La position de la France semble évoluer. Le gouvernement avait jusqu'à présent estimé que ceux capturés en Irak devaient y être jugés. «La difficulté, c'est la Syrie parce qu'en Syrie, il n'y a pas de gouvernance avérée», relevait en novembre le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian.
Mais jeudi, la garde des Sceaux Nicole Belloubet a estimé qu'ils pouvaient aussi être jugés dans ce pays à condition de bénéficier «d'un procès équitable», tandis que le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, a ouvert la porte à des procès dans le «Kurdistan syrien».
«C'est une zone contrôlée par les Kurdes, mais ce n'est pas un Etat reconnu», souligne Serge Slama, professeur de droit public à l'université Grenoble Alpes. «Il n'y a pas d'institution judiciaire proprement dite puisqu'il n'y a pas d'Etat. Je ne vois pas comment ils pourraient assurer un procès équitable», relève-t-il.
Ont-ils droit à une protection de la France ?
«Tout Français incarcéré à l'étranger a le droit de prévenir son consulat de sa situation. Les fonctionnaires du consulat peuvent se rendre auprès de ces Français pour les aider à trouver un avocat ou un interprète», explique Anne-Laure Chaumette.
Cependant, selon l'avocat Bruno Vinay, la «protection consulaire» a été refusée à sa cliente Emilie König, figure de la mouvance jihadiste détenue par les forces kurdes en Syrie, au motif que la France n'y «disposait pas de représentation" depuis 2012. Le Quai d'Orsay lui a alors suggéré de se tourner vers la Croix-Rouge, «susceptible d'apporter aide et conseil», a expliqué l'avocat, en citant un courrier dans lequel lui a été signifié le refus du rapatriement de sa cliente.
Que vont devenir les enfants ?
Ceux nés sur place depuis l'offensive du groupe Etat islamique en 2014 sont irresponsables pénalement. Seuls ceux âgés de plus de treize ans peuvent être jugés en France.
A ce jour, seuls quatre enfants de jihadistes français partis en Irak rejoindre l'organisation État islamique (EI) ont été rapatriés et placés dans des familles d'accueil.