«Le secret de la longévité est de faire ce qu'on n'a pas le droit de faire !». A 100 ans révolus, Marie-Louise Wirth continue d'officier derrière son comptoir à Isbergues (Pas-de-Calais) dans le bar où elle a commencé à travailler à 14 ans.
«J'ai passé ma vie ici et je suis à mon compte depuis 1954 date du décès de mon père», explique cette grande femme, aux yeux bleus, habillée avec coquetterie et au caractère bien trempé.
Dans ce bistrot ceint de briques d'une vingtaine de m2, jouxtant l'église de cette commune de 10.000 habitants située à une heure de Lille, rien n'a bougé depuis les derniers travaux datant de...1958 : boiseries élégantes, tables hexagonales, carrelage en céramique au sol ou comptoir évoquant le style art déco.
Née à Saint-Nazaire le 23 novembre 1917, d'un père travaillant aux chantiers navals, la jeune Marie-Lou est arrivée à deux ans dans le Pas-de-Calais. Avant son certificat d'études, elle aidait ses parents à servir les clients.
«A cette époque, il fallait obéir ! Tandis que maintenant ce sont les parents qui doivent obéir aux enfants. Il y avait une grande ducasse (fête foraine, ndlr) mes copines passaient pour que je vienne, mais ma mère disait 'ta place est derrière le comptoir'», raconte-t-elle d'un ton sévère, imitant sa voix.
C'était l'époque des petits vins blancs sucrés, du Byrrh, du Dubonnet, de l'absinthe, du Pernod «car il n'y avait pas de Ricard». Il n'y avait «pas de whisky comme c'est le cas aujourd'hui».
Autre évolution qui l'a marquée : la chute du nombre de troquets, passés de 600.000 en France dans les années 1960 à moins de 35.000 aujourd'hui. «A l'époque de l'usine de métallurgie Ugine, il y avait une centaine de bars, la rue Salengro en était pleine, faut dire qu'il y avait 6.000 ouvriers qui y travaillaient», confie-t-elle, sans verser pour autant dans la nostalgie.
Brandy
Chaque matin à 8h15, elle ouvre son bar qui n'a pas de nom, car «quand on a de la bonne bière on n'a pas besoin d'enseigne», puis boit un verre de cherry brandy avec son premier client.
Il ne faut pas en effet chercher le secret de la longévité de cette centenaire dans une hygiène de vie irréprochable. «Je mange tout ce qu'on n'a pas le droit, de la mayonnaise, des cornichons, jamais de fruit.» Des promenades peut-être ? «Je n'ai jamais aimé marcher, moi j'aime l'auto comme les gosses», rétorque-t-elle.
Et elle prévient : «Je suis une casse cou !». Marie-Claire Legrand, sa meilleure amie, le confirme. «Il y a deux ans, on a fait un tour en montgolfière» et en 2013 elle s'est essayée à l’accrobranche en Martinique.
«Si on vit pour ne rien faire et ne rien voir, ce n'est pas la peine», appuie cette femme pleine de vie, qui danse tous les dimanche, raffole des voyages et des mots-croisés, et dit regarder la télévision seulement pour les documentaires des «Routes de l'impossible».
Restée célibataire et sans enfant, elle n'a pas de téléphone portable, ne sait pas utiliser internet et n'a jamais eu de carte bancaire. «Quand il n'y a plus de sou dans mon porte-monnaie, je dis que c'est le diable, quand il y a des sous, c'est le Bon Dieu !», dans une de ses «punchlines» fleurant bon l'époque de l'ORTF.
Si aujourd'hui les clients sont rares «car j'en ai enterrés beaucoup», Marie-Lou l'assure : «la petite bête curieuse», comme elle se surnomme, continuera à rester fidèle à son bistrot aussi longtemps que possible.