Le milliardaire et sénateur russe Souleïman Kerimov, dont l'arrestation à sa descente d'avion lundi soir à Nice, sur la riviera française, a provoqué la colère du Kremlin, a été inculpé mercredi pour blanchiment de fraude fiscale.
Il doit remettre son passeport et verser une caution de cinq millions d'euros. Il n'a pas le droit de quitter le département des Alpes-Maritimes où est située Nice, a précisé à l'AFP le procureur de la République, Jean-Michel Prêtre.
Dans cette affaire, instruite à Nice depuis fin 2014, un avocat fiscaliste de la Côte d'Azur et deux hommes d'affaire suisses sont déjà inculpés. M. Kerimov a été interpellé en descendant d'avion lundi soir à Nice et aussitôt mis en garde à vue. Le milliardaire est détenteur d'un passeport diplomatique, qu'il n'aurait toutefois pas utilisé lundi, voyageant pour des raisons privées.
Son interpellation a provoqué la colère de parlementaires russes et une réaction du Kremlin. Le chargé d'affaires français à Moscou a été convoqué après que la Douma, chambre basse du Parlement, eut voté une résolution dénonçant une violation de la convention de Vienne sur l'immunité diplomatique.
«Le statut de sénateur de Souleïman Kerimov, ainsi que le fait qu'il soit citoyen de la Russie, constituent un gage que nous entreprendrons tous les efforts possibles, les efforts maximaux pour protéger ses intérêts juridiques», a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.
«M. Kerimov bénéficie d'une immunité de juridiction pénale étrangère pour les seuls faits accomplis dans l'exercice de ses fonctions», a pour sa part souligné le ministère français des Affaires étrangères.
M. Kerimov est soupçonné de s'être approprié plusieurs propriétés mitoyennes sur la magnifique presqu'île du Cap d'Antibes, havre pour milliardaires, par des achats successifs à travers un prête-nom et pour des montants sous-déclarés. Le préjudice pour le fisc français serait de «plusieurs dizaines de millions d'euros», selon une source proche du dossier.
C'est au détour d'une banale enquête pour trafic de stupéfiants que la police française a été mise sur la piste, intriguée par les allées et venues, avec de l'argent liquide, de la secrétaire de l'avocat fiscaliste antibois Philippe Chiaverini.
Avant son inculpation, M. Kerimov a passé deux nuits en garde à vue au commissariat, dans le cadre de cette information judiciaire ouverte pour «blanchiment aggravé de fraude fiscale aggravée en bande organisée».
Accident de Ferrari
Deux avocats l'assistent : Nikita Sichov et Kami Haeri. Ils n'ont fait aucun commentaire dans l'immédiat.
Classé 21e fortune de Russie par le magazine Forbes, qui estime son patrimoine à sept milliards de dollars ((six milliards d'euros), l'oligarque de 51 ans est un familier de la Côte d'Azur. Il avait défrayé la chronique fin 2006 avec un accident en Ferrari à l'entrée de la Promenade des Anglais à Nice. Il avait été longuement hospitalisé pour des brûlures.
En septembre, le quotidien Nice-Matin avait révélé qu'une villa du Cap d'Antibes, évaluée à 150 millions d'euros et dont M. Kerimov était soupçonné d'être le propriétaire, avait été frappée d'une saisie pénale quelques semaines auparavant. Le financier suisse Alexandre Studhalter avait annoncé un recours contre cette saisie et démenti être l'homme de paille de M. Kerimov.
Le nom d'un autre entrepreneur suisse, Philippe Borghetti, apparaît dans le dossier. Tout comme MM. Chiaverini et Studhalter, il est inculpé pour blanchiment de fraude fiscale, ce dont il se défend «avec la plus grande énergie», indique son avocat Me Philippe Soussi.
Originaire du Daguestan, une république russe voisine de la Tchétchénie, M. Kerimov a fait fortune au moment des privatisations lors de la chute de l'URSS. Il a notamment détenu des parts dans le numéro un mondial des engrais agricoles Uralkali et contrôlé le club de football daguestanais d'Anzhi Makhachkala, qu'il avait hissé un temps au sommet en achetant au prix fort des joueurs comme le Camerounais Samuel Eto'o ou le Brésilien Roberto Carlos.
Mais après avoir d'importantes pertes financières, il a cédé la plupart de ses actifs et détient désormais surtout, avec sa famille, le producteur d'or Polyus.
Il a également été député du parti ultra-nationaliste LDPR avant de représenter le Daguestan au Conseil de Fédération, la chambre haute du Parlement russe.