Édouard Philippe a annoncé samedi aux partenaires sociaux une réforme du compte pénibilité, prévue pour entrer en vigueur pour 2018, qui se veut un compromis entre la CFDT, très attachée à cette mesure emblématique du quinquennat Hollande, et le patronat vent debout contre une «usine à gaz».
Dans une lettre envoyée aux principales organisations syndicales et patronales, dont l'AFP a obtenu copie, le Premier ministre propose une nouvelle mouture : un «compte de prévention» dont le nouveau nom officiel est amputé du terme de pénibilité, comme l'avait promis Emmanuel Macron durant la campagne.
Entré en vigueur par étapes depuis 2015, le compte pénibilité permet aux salariés du privé occupant un poste pénible de cumuler des points afin de partir plus tôt à la retraite, se former ou travailler à temps partiel sans perte de salaire.
Quoique rebaptisé, il sera maintenu tel quel pour six critères (travail de nuit, répétitif, en horaires alternants ou en milieu hyperbare, ainsi que le bruit et les températures extrêmes).
En revanche, pour quatre autres critères, les plus décriés par le patronat - qui les jugeait «inapplicables» au motif qu'ils sont difficilement mesurables - , les règles sont modifiées : la manutention de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les risques chimiques, sortiront du compte à points.
Pour le Medef, «le pragmatisme semble avoir prévalu»
Les employés exposés à ces risques-là pourront encore bénéficier d'un départ anticipé à la retraite, mais seulement quand «une maladie professionnelle a été reconnue» et quand «le taux d'incapacité permanente excède 10%», selon la lettre du Premier ministre.
Soit un critère proche, même s'il apparaît légèrement plus favorable, d'un dispositif déjà contenu dans la réforme des retraites de 2010. «Une visite médicale de fin de carrière permettra à ces personnes de faire valoir leurs droits», selon le courrier
Dans un communiqué, le Medef estime que «le pragmatisme semble avoir prévalu». Sur «le nouveau mode de financement annoncé», le Medef dit qu'il «restera très vigilant et ne comprendrait pas que les efforts (et les résultats obtenus depuis de nombreuses années) en matière de prévention par les entreprises ne soient pas pris en compte d'une façon ou d'une autre».
Enfin, il ajoute que «(s'il) ne peut que regretter les incompréhensions qui ont jalonnées, depuis sa conception, la mise en œuvre du compte pénibilité, il fonde l'espoir, si la solution annoncée se concrétise rapidement et se traduit bien par une simplification et une disparition des coûts qu'elles supportaient, que les entreprises puissent dorénavant de façon sereine poursuivre dans la voie de la prévention pour nos salariés».
«Le travail est une douleur»
A l'issue d'un «travail approfondi de réflexion», Édouard Philippe affiche son volontarisme sur ce dossier épineux : «Le gouvernement a analysé toutes les options et est décidé à prendre ses responsabilités», affirme-t-il dans cette lettre adressée aux cinq principales organisations syndicales, aux trois grandes organisations patronales, ainsi qu'à la FNSEA.
Fin mai, au début de la concertation sociale sur la délicate réforme du droit du travail, Édouard Philippe s'était fixé comme objectif de parvenir à «un dispositif plus simple» d'ici «la fin de l'année».
La nouvelle réforme, qui sera incluse comme prévu dans les ordonnances de cet été réformant le code du travail, «entrera en vigueur à compter de l'année 2018», précise le Premier ministre.
Dernière modification majeure de cette nouvelle mouture : le financement, cette fois pour tous les critères. Les deux cotisations actuelles «seront supprimées» et «le financement des droits en matière de pénibilité sera organisé dans le cadre de la branche accidents du travail/maladies professionnelles» (AT/MP).
Cette branche, dans le vert depuis 2013, est la seule excédentaire de la Sécurité sociale, avec un surplus estimé à 900 millions d'euros pour cette année.
Sollicité par l'AFP à la suite de la divulgation de cette lettre, Matignon a précisé que cet excédent devrait permettre de financer la réforme, du moins «à court terme», sans augmenter les cotisations sociales.
Actuellement, le compte pénibilité est financé par deux taxes : une cotisation «de base» de 0,01% des rémunérations acquittée par toutes les entreprises et une seconde «additionnelle», fixée à 0,2% pour les employeurs ayant exposé au moins un de leurs salariés à la pénibilité au-delà des seuils (et 0,4% pour plusieurs critères).
En 2016, sur le format du compte à dix critères, quelque 797.000 personnes ont été déclarées par leurs employeurs dans cette situation de pénibilité - alors que la Caisse nationale d'assurance-vieillesse (Cnav) évoquait un potentiel de 2,6 à 3 millions de salariés -, selon des chiffres officiels non publiés.
Fin mars, devant le Medef, Emmanuel Macron, alors candidat, avait promis de retirer le mot de «pénibilité» du compte à points, disant ne pas «aimer le terme» parce qu'il «induit que le travail est une douleur».