C'est devenu «l'affaire Ferrand»: ex-socialiste rallié de la première heure à Emmanuel Macron, le ministre de la Cohésion des territoires, Richard Ferrand, est au coeur depuis huit jours d'une polémique sur des soupçons de favoritisme. Récit en trois actes
Les révélations du Canard
Le 24 mai, Le Canard Enchaîné met en cause le ministre pour des tractations immobilières impliquant sa compagne. Les faits remontent à 2011, avant qu'il n'entre à l'Assemblée nationale. L'hebdomadaire satirique raconte comment les Mutuelles de Bretagne, dont Richard Ferrand était alors le directeur général, avaient souhaité louer des locaux commerciaux à Brest pour ouvrir un centre de soins. L'entreprise avait choisi, entre trois propositions, celle d'une société immobilière appartenant à la compagne du ministre. En plus de bénéficier d'une rénovation complète des locaux par la mutuelle pour 184.000 euros, toujours selon Le Canard, la SCI a vu la valeur de ses parts «multipliée par 3.000» six ans plus tard.
«Les administratrices et les administrateurs du conseil d'administration, dont je ne suis pas, ont retenu la meilleure offre», rétorque Richard Ferrand, qui ajoute : «C'est une sorte de cadeau de bienvenue pour ma nomination au gouvernement (ndlr: le 17 mai), où on essaie de faire d'un acte de gestion banal une pseudo-affaire». Sur un autre volet dévoilé par Le Canard, l'embauche de son fils comme collaborateur parlementaire durant quelques mois, Richard Ferrand déclare toutefois : «Si c'était à refaire, je ne le referais pas».
Nouvelles accusations
Le 24 mai, une source proche du dossier fait savoir que le parquet national financier (PNF) n'est pas compétent «à ce stade» pour ouvrir une enquête. Le 26, le parquet de Brest annonce pour sa part qu'«en l'état, aucun des faits relatés n'est susceptible de relever d'une ou plusieurs qualifications pénales permettant d'ouvrir une enquête préliminaire».Le Premier ministre Edouard Philippe affiche sa confiance envers Richard Ferrand et érige les électeurs de la circonscription de Carhaix-Plouguer, où Richard Ferrand est candidat, en «juges de paix», tout ministre battu aux législatives devant démissionner, selon les règles fixées par Emmanuel Macron.
Le 29, les Mutuelles de Bretagne assurent que Richard Ferrand a agi en «parfaite conformité avec les mandats tenus par le conseil d'administration». Mais, le même jour, l'affaire est relancée avec la publication dans Le Parisien du témoignage d'un ancien bâtonnier de Brest, dénonçant la façon dont Richard Ferrand a procédé à l'acquisition, via la société de sa compagne, de l'immeuble pour les Mutuelles de Bretagne, parlant d'«enfumage».
Le 30, le journal Le Monde accuse Richard Ferrand de «mélange des genres» entre affaires privées et vie publique, assurant qu'il «a fait bénéficier de plusieurs contrats des proches, dont son ex-femme et sa compagne». Le ministre «réfute et condamne tous les soupçons» de cette enquête. Edouard Philippe renouvelle sa «confiance» à Richard Ferrand, pointant toutefois du doigt «l'exaspération des Français» devant certaines pratiques et rappelant que tout ministre mis en examen doit démissionner.
Une enquête préliminaire ouverte
La droite et la gauche attaquent depuis plusieurs jours le ministre, de François Baroin (LR) à Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise), en passant par Marine Le Pen (FN) ou Jean-Christophe Cambadélis (PS), lequel estime qu'il doit "évidemment" démissionner. Une large majorité de Français le pense aussi, selon un sondage Harris Interactive.
Le 31 mai, Richard Ferrand exclut une nouvelle fois de quitter le gouvernement, assurant être «un homme honnête» tandis que le président Macron appelle le gouvernement à la «solidarité» et estime que la presse ne doit «pas devenir juge».
Jeudi, le procureur de la République de Brest annonce l'ouverture d'une enquête préliminaire, «après analyse des éléments complémentaires susceptibles de mettre en cause» le ministre. De son côté, l'association anticorruption Anticor a adressé mercredi au parquet de Brest une plainte contre X dans cette affaire, sur le fondement du délit d'abus de confiance.