Autant dire que ce ne sont pas leurs propositions en matière d'écologie qui ont permis à Emmanuel Macron et Marine Le Pen de se qualifier pour ce second tour.
Les ONG spécialisées dans le domaine déplorent l'espace occupé par l'environnement, thème pourtant primordial à l'avenir proche de l'humanité. Présidente de WWF-France (Fonds mondial pour la nature) et accessoirement première femme de la planète à avoir effectué un tour du monde à la voile en compétition (en 1991), Isabelle Autissier analyse cette insuffisance du débat autour de l'environnement dans la campagne présidentielle française.
Un mot pour évoquer la place donnée à l'écologie et à l'environnement dans la campagne présidentielle ?
Insuffisant.
Le 25 avril, Libération titrait L’écologie ne passe pas au second tour*. Êtes-vous d’accord avec ce titre ?
L’écologie n’était déjà pas très présente avant le premier tour, et les deux candidats qui en parlaient le plus, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon, ont été éliminés, c’est vrai. Mais ce titre est toutefois un raccourci, car les finalistes en parlent quand même un peu, et le sujet n’avait déjà pas été beaucoup abordé lors des débats du premier tour. Ceci dit, il est vrai que l’écologie n’est pas la priorité des deux candidats qui restent en course.
*L'écologie ne passe pas au second tour, Libération, le 25 avril 2017
L’écologie était au cœur des programmes de gauche : est-ce un progrès dont on peut se satisfaire ?
C’est un progrès dans la mesure où, il y a cinq ans, ça n’était même pas au cœur des programmes de gauche, à l’exception des Verts. Mais ça reste insuffisant, car il ne faut pas oublier qu’on fait de l’écologie tout le temps. Quand on fait du développement, que l’on s’intéresse à l’investissement ou aux questions d’impôts et de taxe, l’écologie est là, partout, et si on ne la prend pas en compte, on n’arrive pas aux bons résultats. Pour l’instant, je ne vois pas de programmes qui la mettent partout.
L’écologie a-t-elle lieu d’être, encore aujourd’hui, un parti ?
L’écologie doit irriguer l’ensemble des partis. Car les décisions que l'on prend tout de suite, (qu’elles soient économiques, politiques ou à n’importe quel autre niveau) doivent être analysées par le prisme de l’environnement et des générations futures pour espérer arriver aux bons résultats. Toutes les constructions immédiates impactent l’avenir, car quand on prend un investissement, par exemple industriel, c’est pour vingt ou cinquante ans. Il faudrait que l’écologie soit systématique et obligatoire, dans tout ce qui compose un avenir pour nos citoyens. Qu’il y ait ou pas un parti spécialisé dans l’écologie, c’est un autre débat.
On a une classe politique du XXe siècle, dont certains pensent encore que l'environnement, c'est des petites fleurs et des petits oiseauxIsabelle Autissier, présidente de WWF France
Pourquoi un thème aussi majeur que l’écologie est-il aussi absent des débats ?
Je pense qu’on a encore une classe politique du XXe siècle, qui n’a pas complètement intégré ce qu’étaient l’environnement et l’écologie. Il y en a qui pensent encore qu’il s’agit de petites fleurs et de petits oiseaux, et qui n’ont pas compris que ce sont des politiques financières, industrielles, publiques, de collectivité, et qui touchent le transport, le logement, les industries, bref, tout. A partir du moment où les politiques n’ont pas compris ça, et qu’ils pensent qu’on va régler le problème en faisant une ère marine protégée et un peu de protection de l’environnement à droite à gauche, bien sûr, ça ne peut pas fonctionner.
Vous pensez qu’ils n’ont réellement pas compris ou qu’ils font semblant d’être aveuglés par intérêt électoral ou financier ?
Je pense honnêtement qu’il y en a un certain nombre qui n’ont pas compris, qui ne voient pas ces questions. Ça commence à venir un peu sur la question du réchauffement climatique, sur laquelle il y a quand même maintenant bon nombre de politiques qui ont compris qu’il y avait un vrai sujet qui impactait l’ensemble de la société. Mais sur la question de la biodiversité, qui est aussi importante que la question du climat, on n’en est pas encore là. Il y a un certain nombre de gens qui ne comprennent pas en quoi un vers de terre ou un éléphant est vital pour les hommes, alors que nous vivons grâce à la biodiversité dans le monde. S’il n’y avait pas d’équilibre écologique entre des milliers d’espèces d’animaux et de plantes, on ne pourrait fonctionner ainsi. On cultive, on s’habille, on mange grâce aux produits de la nature.
WWF s'est fixé quatre objectifs environnementaux sur son site internet*. L’un des deux finalistes de la présidentielle se distingue-t-il sur ces objectifs ?
Sur la biodiversité, je ne les ai pas entendus ni l’un ni l’autre. Sur le climat, on a un peu plus entendu Emmanuel Macron que Marine Le Pen. A minima, il est sur la loi de transition énergétique, qui n’est pas une si mauvaise loi lorsqu’on la compare à d’autres pays. C’est toutefois un cadre insuffisant. Si on veut vraiment rester en dessous d’une augmentation de deux degrés à l’horizon du siècle, pour respecter l’accord de Paris que la France a signé, il faudrait être quasiment 100% renouvelable en 2050. Aujourd’hui, cette trajectoire ne va pas vers ce résultat.
*Les quatre missions de WWF indiquées sur le site de l’ONG sont : protéger les espèces, conserver les écosystèmes, réduire l’empreinte écologique, promouvoir la transition énergétique.
Si l'on n'est pas capable de limiter l'effet de serre maintenant, il faudra en assumer les conséquences: mal-être et souffrance humaine.Isabelle Autissier, présidente de WWF France
L’écologie peut-elle encore attendre cinq ans ?
Plus on attend, plus on aura mal, car moins on pourra atteindre nos objectifs. En termes de climat et d’effet de serre par exemple, il y a un moment où, si on attend trop, on ne pourra plus arriver à une augmentation des températures inférieures à deux degrés, car cela nécessite des politiques sur le long terme. On ne décide pas d’arrêter l’effet de serre du jour au lendemain, ça n’est pas possible. On peut progressivement le diminuer en ayant une politique industrielle, une politique de transport, de chauffage, de logement, etc. Mais si c’est trop tard, c’est trop tard, et si on attend cinq ans, ça sera trop tard pour les deux degrés.
Si l'on n'est pas capable de limiter l'effet de serre maintenant, il faudra en assumer les conséquences, qui seront vraisemblablement du mal-être et de la souffrance pour les sociétés humaines, puisqu’on sait que le dérèglement climatique, c’est plus de sécheresse, plus d’inondations, moins de productivité agricole, plus de tempêtes… Bien sûr, il n’y a pas que la France dans cette bataille, mais évidemment, si l’on attend cinq ans, on va arriver trop tard et payer les pots cassés pour ces politiques qu’on ne fait pas. Et ça nous coûtera bien entendu infiniment plus cher, puisque cela provoquera bien plus de dégâts.