La trêve hivernale, commencée le 1er novembre dernier, prend fin vendredi soir.
Après cinq mois sans expulsion - sauf dans certains cas particuliers, comme la proposition d’un relogement décent - les évacuations physiques des locataires peuvent reprendre. Maitre Frédéric Santini, avocat en droit immobilier et membre du réseau Eurojuris, détaille cette procédure.
Qui peut être expulsé ?
Maître Frédéric Santini : Dans 85 % des cas, les procédures d’expulsion concernent des personnes de bonne foi qui ne peuvent plus payer leur loyer. Dans les autres cas, plus rares, il s’agit de locataires qui ne respectent pas le règlement, qui font du bruit, qui ont un mauvais comportement, ou n’ont pas d’assurance…
Concrètement, les expulsions peuvent commencer dès samedi matin ?
F. S. : La fin de la trêve hivernale signifie que les expulsions physiques vont pouvoir reprendre. Mais pour en arriver là, il faut auparavant passer par plusieurs procédures. L’huissier doit avoir donné une date pour quitter les lieux avec un préavis de deux mois minimum. Mais comme les procédures ne sont pas arrêtées pendant la trêve, les huissiers peuvent avoir pris les devants. Des expulsions peuvent donc effectivement avoir lieu dès samedi.
Quelles sont les étapes avant l’expulsion ?
F. S. : Face à un locataire qui ne paye plus son loyer, le propriétaire peut saisir le tribunal d’instance. Le tribunal rend sa décision : si on ne respecte pas le bail, en ne payant pas le loyer par exemple, il est résilié. C’est là que le jugement d’expulsion tombe. À partir de là, le propriétaire doit saisir un huissier, pour effectuer ce qu’on appelle les « voix d’exécutions », c’est-à-dire faire exécuter une décision de justice. L’huissier va faire délivrer un « commandement de quitter les lieux », et fixer une date pour le départ, avec un préavis de deux mois minimum. Mais pour procéder à l’expulsion physique, et donc la libération des lieux, l’huissier doit requérir la force. Il faut toujours qu’un représentant de l’Etat soit là pour cette dernière étape. Or ce n’est pas vraiment une priorité de l’Etat d’en accorder un à un huissier, il se passe donc entre plusieurs mois et deux ans avant que le locataire ne se fasse expulser.
Quelles sont les recours pour les locataires ?
F. S. : À partir du moment où il a perdu son procès et qu’il reçoit le commandement de quitter les lieux, il faut réagir. Le locataire a des droits, notamment celui de saisir un juge d’exécution, en lui envoyant simplement un courrier, pour obtenir un délai. Depuis 2014, ils sont au minimum de trois mois, et au maximum de trois ans. Le locataire peut aussi s’adresser à la commission de médiation Dalo (du nom de la loi passée en 2007, ndlr), qui a le même rôle.
Comment est prise la décision d’accorder un délai ?
F. S. : Pour accorder des délais, le juge se fonde sur des critères légaux, mais aussi sur la bonne ou la mauvaise volonté de l’occupant. S’il voit qu’il a tenté des démarches, qu’il cherche à réagir, il y a de grandes chances d’obtenir des délais. Le juge va également regarder la situation du propriétaire. Car il y a parfois des personnes qui ont vraiment besoin du loyer de leur bien pour vivre, et qui se retrouvent face à des locataires qui ne peuvent pas payer. La situation devient alors dramatique aussi pour le propriétaire.
Y a-t-il une alternative au délai ?
F. S. : Selon le dossier du locataire - une femme seule avec enfants, qui n’a plus de revenus par exemple - l’Etat a l’obligation de reloger. Or, en Ile-de-France, il y a 55 000 dossiers qui ont été jugés prioritaires mais qui n’ont pas encore abouti sur un relogement. Sur le principe la loi aide les plus faibles, mais dans la réalité, c’est un droit difficile à mettre en place.
Et les propriétaires, ont-ils des aides ?
F. S. : Lorsque le jugement a été rendu et que le « commandement de quitter les lieux » a été délivré, le propriétaire a un droit dès lors qu’il n’obtient pas le concours de la force publique. Si le délai avant l’expulsion est trop long, le propriétaire peut dire que l’Etat devient responsable de la situation. Il faut alors engager une procédure administrative contre l’Etat pour le faire condamner à indemniser le préjudice, à savoir les loyers non payés. Les propriétaires peuvent aussi prendre des assurances garanties loyers impayés. Elles sont un peu chères, mais pas tant que ça comparé au risque. En revanche, les indemnités sont souvent bornées dans le temps et versées pendant deux ou trois ans maximums, alors que la procédure peut durer plus longtemps.
Les associations peuvent-elles aider, dans un cas comme dans l’autre ?
F. S. : Elles n’ont pas de pouvoir législatif mais un rôle de conseil et d’encadrement important et utile. Elles permettent notamment d’accompagner dans les démarches.