Les cas de grippe aviaire ne cessent de grimper depuis un mois, en particulier dans les élevages de canards du Sud-Ouest. Pourquoi la France, premier pays producteur de foie gras cru, est à nouveau touchée par la maladie, quelques mois seulement après une autre épizootie ?
Une grippe aviaire comme l'an dernier ?
Le virus H5N8 qui se propage depuis fin novembre dans l'Hexagone est classé «hautement pathogène», comme l'était la souche H5N1 apparue en Dordogne fin 2015. Mais la grippe concernait alors «strictement la France et le Sud-Ouest» et avait un «niveau de pathologie faible chez le canard», indique Jean-Luc Guérin, professeur à l'Ecole nationale vétérinaire de Toulouse et chercheur à l'INRA. Il était «sans doute issu d'un virus qui avait circulé depuis plusieurs mois dans les élevages» et son ampleur n'avait été repérée qu'à la fin 2015, poursuit-il.
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Au contraire, «l'épisode actuel concerne l'ensemble de l'Europe». «L'introduction du virus H5N8 dans les élevages se fait directement ou indirectement par la faune sauvage», et c'est un virus «nettement plus meurtrier», selon le scientifique. L'influenza aviaire qui sévit cette année «apparaît avoir une virulence inhabituelle chez les palmipèdes d'élevage», confirme la plateforme nationale d'épidémiosurveillance en santé animale (Pnesa), qui dépend du ministère de l'Agriculture.
Pourquoi encore dans le Sud-Ouest ?
Pour rejoindre l'Afrique, les oiseaux migrateurs n'ont que deux routes : la vallée du Rhône, où la grippe aviaire H5N1 a sévi à l'hiver 2006, ou la Gascogne, touchée pour la deuxième année consécutive. Douze départements sont actuellement concernés, mais le Gers est le premier touché avec 45 cas sur 89, selon le décompte mardi du ministère de l'Agriculture. Le premier cas, hors faune sauvage, a été rendu public le 2 décembre dans le Tarn. Des animaux venant de cette zone avaient été acheminés dans trois élevages du Gers le 30 novembre, ainsi que dans les Hautes-Pyrénées et le Lot-et-Garonne.
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L'ouest du Gers, où se multiplient les foyers, est une zone «assez humide» avec une «concentration très importante» d'élevages, ce qui favorise la propagation, selon Philip Everlet, responsable du pôle aviculture à la chambre d'agriculture du Gers. Il s'agit du deuxième département producteur de foie gras en France, derrière les Landes. «Heureusement, les Landes ne sont touchées qu'à la marge, et l'un des enjeux est d'empêcher qu'ils soient pleinement touchés», souligne M. Guérin.
Quid du «vide sanitaire» ?
Dépassé par l'ampleur de la crise, le ministère de l'Agriculture avait décidé début 2016 d'imposer un «vide sanitaire» exceptionnel dans les élevages d'oies et de canards de 18 départements. Sans recourir à l'abattage massif, les exploitations avaient été progressivement vidées puis nettoyées de fond en comble au printemps, alors que le pic de l'épizootie était déjà passé. Des travaux de biosécurité, comme l'installation de sas à l'entrée de chaque bâtiment recevant des animaux, ont aussi été imposés aux éleveurs.
Face à la nouvelle épizootie, une réunion avec les professionnels de la filière doit se tenir mercredi à Paris, au ministère de l'Agriculture. De nouvelles mesures pour endiguer le virus pourraient être prises, selon des professionnels, mais sur un territoire plus restreint.
Quelles sont les conséquences pour les éleveurs ?
L'arrivée du virus H5N8 a empêché la France de recouvrer son statut de «pays indemne», indispensable pour exporter hors d'Europe, notamment en Arabie saoudite, en Chine ou au Japon. Cette nouvelle épizootie est un coup particulièrement dur pour la filière foie gras, dont la production a déjà fondu d'un quart en 2016, selon le Cifog, qui représente les éleveurs et les industriels. Si le virus n'est pas dangereux pour l'homme, dans les zones touchées, l'activité est à nouveau suspendue.
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«Beaucoup ont investi 20.000, 30.000 euros, nous-mêmes 100.000, dans des équipements de biosécurité depuis l'an dernier», souligne Serge Mora, responsable du secteur «gras» au Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef) des Landes. «Il y a chez certains de graves problèmes de trésorerie, qui les prennent à la gorge. J'ai entendu le cas d'un producteur qui, pour régler une facture de 500 euros, a fait des chèques de 10 euros...»