Face à une menace terroriste inédite, la France a-t-elle pris toutes les dispositions pour contrer les jihadistes ? Après l'attentat de Nice qui a fait au moins 84 morts jeudi, les décisions du gouvernement ont suscité de vives critiques dans l'opposition, estimant qu'«il faut faire plus».
Le dispositif à Nice était-il suffisant ?
Le dispositif du 14 juillet, arrêté en concertation avec la mairie, répondait «à un très haut niveau de sécurité», a assuré samedi le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, répondant aux flèches de Christian Estrosi, président LR de la région Paca. Selon la préfecture des Alpes-Maritimes, «64 fonctionnaires de la police nationale et 42 de la police municipale» et 20 militaires de la mission Sentinelle étaient mobilisés, avec des contrôles aléatoires en entrée de zone et un accès aux 1.400 caméras de vidéoprotection de la ville. Le camion du tueur «a forcé le passage en montant sur le trottoir», a affirmé la préfecture. Des véhicules de police étaient stationnés au barrage. «C'est par le trottoir et de façon très violente que ce camion a réussi à pénétrer», a précisé Bernard Cazeneuve.
A lire aussi : Attentat de Nice : le film des événements
«Si le terroriste, déterminé à tuer jusqu'à mourir, sort de chez lui armé sans être détecté, il est déjà trop tard. Une fois en action, on ne peut plus que limiter les dégâts», estime Yves Trotignon, ancien analyste du service antiterroriste de la DGSE. Un constat partagé par le sociologue Laurent Mucchielli. «Le problème est en amont : qu'est-ce qu'on peut faire pour ne pas arriver à cette situation, plutôt que se demander quelle arme utiliser pour le tuer encore plus vite».
Les forces de l'ordre sont-elles bien armées ?
Mohamed Lahouaiej Bouhlel a réussi à rouler sur près de deux kilomètres avant d'être abattu par les tirs des policiers. Les forces de l'ordre ont-elles tardé ou n'avaient-elles pas les moyens de riposter ? Depuis les attentats du 13 novembre, le gouvernement a donné des consignes aux forces de l'ordre sur la conduite à tenir face aux «tueurs de masse», leur demandant d'intervenir le plus vite possible pour les neutraliser. Pour mieux armer les «primo-intervenants», le gouvernement a lancé en février un plan pour les équiper de fusils d'assaut (HK G36), de gilets pare-balles et de boucliers résistant aux balles de kalachnikovs, jusque-là réservés aux seules unités d'élite. «Pour tirer plus rapidement, les forces de l'ordre doivent être mieux entraînées aux tirs», estime M. Trotignon. Un diagnostic partagé par la commission d'enquête parlementaire sur les attentats de 2015, qui veut augmenter le nombre de cartouches tirées chaque année.
A lire aussi : Ce que l’on sait de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, l'auteur de l'attentat de Nice
Pour Patrice Ribeiro, secrétaire général du syndicat de police Synergie-officiers, «il faut aussi que la justice soutienne l'ouverture du feu des policiers, à qui on répète de faire preuve de prudence et de discernement, sous peine d'être condamnés». Selon lui, les fusils d'assaut, actuellement stockés dans le coffre des véhicules, devraient être accrochés à l'intérieur du véhicule, comme aux Etats-Unis. «Il a fallu batailler pour obtenir le port d'arme hors service des forces de l'ordre», peste M. Ribeiro. Attention toutefois à ne pas «surarmer» les forces de l'ordre, estime M. Trotignon, interrogé sur l'idée du député LR des Yvelines Henri Guaino d'armer les militaires de lance-roquette.
Faut-il interdire les grands rassemblements ?
«Interdire les rassemblements, c'est céder aux terroristes», affirme Patrice Ribeiro, mais «il va falloir vivre autrement, comme en Israël où il y a une culture de la sécurité au quotidien, des barrages et des portiques de sécurité à l'entrée des bars et des discothèques». «Si on veut continuer de vivre comme on veut, il faut consentir à certaines restrictions» visant une population ciblée - les islamistes radicaux - grâce à des mesures administratives», estime-t-il. Dans la foulée de l'attentat de Nice, le plan Vigipirate a été relevé à «alerte-attentat» dans les Alpes-Maritimes, entraînant l'annulation de manifestations. La préfecture de police de Paris a appelé au «discernement» dans l'organisation de rassemblements pour ne pas «détourner les forces de l'ordre de leur mission».
A lire aussi : Attentat de Nice : le récit du premier photo-journaliste arrivé sur les lieux
Les fan zones ayant fait leurs preuves pendant l'Euro 2016, «on pourrait réfléchir à une nouvelle conception des services d'ordre festifs», avec l'emploi d'agents de sécurité privée pour filtrer les spectateurs, propose Frédéric Lagache, secrétaire général adjoint du syndicat policier Alliance. «Ce qui soulagerait d'autant des forces de l'ordre très mobilisées» depuis 2015. Faut-il étendre le niveau «alerte-attentat» à toute la France, alors que s'ouvre la saison des festivals ? «A trop vouloir s'adapter, on cèderait à la menace», estime l'ancien analyste de la DGSE. «Si les grands événements sont annulés, les terroristes s'attaqueront à d'autres cibles comme un centre commercial ou un camping. La sécurisation absolue est un mythe».