L'attaque menée jeudi soir à Nice par Mohamed Lahouaiej Bouhlel montre, selon Roland Jacquard, président de l'Observatoire international du terrorisme, la nécessité de faire un état des lieux de la menace qui pèse sur la France.
Plus de six mois après le 13 novembre, l'Euro 2016 s'est bien déroulé. On pouvait penser que le danger, sans être écarté, était contenu. Fallait-il s'attendre à une nouvelle attaque de cette ampleur ?
Malheureusement, oui. Ces individus n'agissent pas forcément en respectant un tempo. Durant l'Euro de football, avec les mesures de sécurité mises en place, les contrôles, il aurait fallu monter une opération kamikaze très organisée, difficile à mettre en place. L'attaque de Nice est probablement le fait d'une personne auto-radicalisée, avec cette possibilité de pouvoir agir à n'importe quel moment. La question est donc de savoir si c'est un attentat "actionné" de l'extérieur, si des chefs terroristes ont donné un ordre, et si oui, comment l'ont-ils donné ? Bénéficient-ils d'une "réserve" de personnes prêtes à passer à l'acte à l'intérieur du territoire ?
Le mode opératoire utilisé à Nice - un camion lancé sur la foule - rappelle les consignes prodiguées par Daesh…
C'est un terrorisme du quotidien, qui fait suite à l'appel lancé par Daesh pour agir par tous les moyens. Lors de l'attentat au marathon de Boston, par exemple, les terroristes ont placé leurs explosifs dans une simple marmite, comme cela était recommandé. On s'attend à des attaques sophistiquées, mais ce sont des ustensiles simples, des voitures, des camions, qui sont utilisés. Nous essayons de démanteler des cellules, de trouver des armes de guerre, d'éviter des attentats à la voiture piégée, mais ce terrorisme-là est plus "pragmatique".
L'état d'urgence va être prolongé de trois mois. Faut-il aller plus loin dans la sécurisation du territoire, restreindre les rassemblements publics ?
Annuler les événements, ce serait faire le jeu du terrorisme. Nous tomberions dans le piège tendu. Mais il n'empêche que nous devons agir autrement, et lancer dès à présent un état des lieux complet de la menace actuelle. Il y a une implantation idéologique radicale forte sur la Côte d'Azur, dans la région de Nice, on l'a vu avec la cellule de Cannes-Torcy. On connaît aussi les ponts existants entre la délinquance, la prison, et ces mouvances. Il faut donc un état des lieux complet, un douloureux moment d'exception dans notre démocratie, pour mieux surveiller les personnes à risque, lequelles ne sont pas forcément fichées S. Ce travail, de longue haleine, doit être effectué sous peine de voir le terrorisme être sanctuarisé dans notre pays.
Les attentats se sont succédé depuis début 2015. Pourquoi la France est-elle particulièrement visée ?
La France est en première ligne car elle est très engagée dans la lutte anti-terroriste. Elle est ce que l'on peut appeler une "cible molle" occidentale, au contraire des Etats-Unis, qui sont une "cible dure". Les Américains ont mis en place des mesures qui, certes, fragilisent les libertés, mais sont contraignantes pour mener une attaque, même les drames ne sont pas évités, comme à Orlando.
Si Daesh, comme on le soupçonne, est à l'origine ou a inspiré cet acte, la situation au Moyen-Orient joue-t-elle un rôle ?
C'est en effet un piège qui se retourne. La coalition internationale gagne du terrain en Syrie et en Irak, sur les terres de Daesh, et la France est très impliquée dans ces frappes. Mais plus Daesh perd du terrain, plus il recule, et plus il se disperse et frappe ailleurs, en attendant, si je puis dire, des "jours meilleurs". Le danger d'avancer sur place, c'est de voir les combattants occidentaux revenir plus rapidemment dans leurs pays, et éventuellement de frapper. Un récent rapport de la CIA parle de 26 000, de nombreuses nationalités, dans cette situation.