Deux jours après l’utilisation du 49.3 pour faire adopter la réforme du code du travail, Myriam El Khomri doit affronter une double colère.
La première, politique, vient des députés de droite, qui ont déposé une motion de censure contre le gouvernement, qui sera en débat ce jeudi à l’Assemblée. Dans le même temps, la rue sera de nouveau mobilisée contre le projet. Face aux risques de rupture, la ministre fait preuve de fermeté pour défendre son texte et la stratégie menée par le gouvernement.
Vous vouliez convaincre les députés par le dialogue, et finalement vous utilisez le 49.3. Pourquoi ce choix ?
Depuis le début, le gouvernement a démontré sa volonté sincère de dialogue. Avec les organisations syndicales, patronales et de jeunesse. Et j’ai veillé, personnellement, à recevoir au ministère de nombreux députés socialistes, y compris ceux qui se sont opposés à ce texte. Nous avons tout fait pour construire une majorité. Mais après le temps de l’échange, il y a celui de la décision. Le Premier ministre l’a dit : face à l’intransigeance d’une minorité de députés socialistes, le gouvernement a dû prendre ses responsabilités.
En quoi ce projet de réforme du code du travail est-il indispensable ?
Parce qu’il est adapté au monde du travail d’aujourd’hui. Avec une idée clé : c’est par la négociation au plus près du terrain, avec davantage de démocratie dans l’entreprise, que l’on trouvera les meilleurs compromis. Pour répondre en même temps aux besoins des entreprises et aux attentes des salariés. Mais, cette loi va plus loin : elle crée la protection sociale du XXIème siècle. Avec le Compte personnel d’activité, chacun pourra demain choisir librement son parcours professionnel. Bilans de compétence, formations, aide à la création d’entreprise… Chacun activera ses droits en fonction de ses besoins, de ses envies.
Les Français sont majoritairement opposés au texte. Ne risquez-vous pas d’envoyer un mauvais message, en passant en force ?
Si le gouvernement avait renoncé, vous l’auriez accusé de faiblesse. Les Français savent bien que nous devons bouger, notamment en rendant notre Code du Travail plus lisible et plus efficace. Ils savent aussi que la loi ne peut pas régler toutes les questions et que le dialogue de proximité permet souvent de trouver les meilleures solutions. Qui peut nier que les salariés et leurs représentants sont les mieux placés pour discuter de l’organisation de leur temps de travail, c’est-à-dire ce qui fait leur quotidien ?
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Une partie de la gauche dénonce un «déni de démocratie». Pourquoi ne pas avoir fait le choix d’un référendum ?
Le déni de démocratie, ce serait qu’un peu plus de 10 % des députés socialistes entravent la volonté de tous les autres. Doit-on oublier les organisations syndicales représentant une majorité de salariés et qui soutiennent ce texte ? Doit-on oublier les nombreuses organisations de jeunesse, comme la FAGE, favorables à cette loi ? User d’une disposition prévue par notre Constitution, ce n’est pas un déni de démocratie, c’est la seule manière de dépasser l’obstruction pour faire passer un texte indispensable.
De même, certains «frondeurs» estiment que ce texte trahit les valeurs de gauche. Que leur répondez-vous ?
Brandir la menace d’une motion de censure contre un gouvernement de gauche, c’est être fidèle aux valeurs de gauche ? S’opposer à la création du Compte personnel d’activité, à la généralisation de la Garantie jeunes, à la démocratie dans l’entreprise, c’est être fidèle aux valeurs de gauche ?
La motion de censure déposée par LR et l’UDI sera débattue jeudi après-midi. Êtes-vous confiante ?
Je respecte les députés. Chacun assumera ses responsabilités. Et le texte déposé par la droite mettra clairement en lumière une vision ultra-libérale de la société, fondée sur la dérégulation du marché du travail et l’affaiblissement des syndicats. A l’inverse, notre texte est résolument social-démocrate car nous n’opposons pas progrès économique et progrès social.
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Les opposants à la loi travail sont plus que jamais mobilisés. Comment calmer leur colère ?
Il y a eu des erreurs au départ, nous les avons assumées. Depuis, le projet de loi a été profondément amélioré. Et encore une fois, je retiens d’abord que grâce à la concertation, beaucoup la soutiennent désormais, même si on leur donne moins la parole. Les autres, je veux encore les convaincre : en quoi une loi qui donne plus de place et de moyens aux syndicats, qui permet de consulter les salariés, qui renforce les capacités d’adaptation de nos PME, qui instaure un droit universel à la formation - dont les moyens sont doublés pour les salariés non diplômés - et à la Garantie jeunes, serait contraire aux intérêts des salariés ? Au contraire, j’assume à 100 % cette loi juste et porteuse de progrès social.
Le texte a été modifié à plusieurs reprises. Peut-il quand même garder les objectifs que vous vous êtes fixés ?
Bien sûr. Grâce à la concertation avec les partenaires sociaux et les organisations de jeunesse, grâce au travail de la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée, et notamment de son rapporteur, cette loi a été considérablement enrichie. Mais sans dénaturer sa philosophie profonde : renforcer la démocratie dans l’entreprise, améliorer les droits et les protections des salariés et offrir visibilité et souplesse aux entreprises. Nous tenons notre cap.
La surtaxe des CDD a été abandonnée, comme le réclamait le patronat. Pourquoi ?
Les partenaires sociaux ont fait valoir leurs prérogatives en ce domaine et nous avons décidé de leur faire confiance pour qu’ils conservent le principe de modulation des cotisations et qu’ils rendent le dispositif plus efficace. Aujourd’hui, près de 90% des recrutements se font en CDD et la moitié de moins d’une semaine. Il faut donc lutter contre ce recours abusif aux contrats courts et inciter les entreprises à recruter davantage en CDI. L’emploi stable et durable est l’objectif de tous.
Si la loi passe, dans quels délais sera-elle appliquée, et quand espérez-vous voir ses effets ?
Elle produira ses premiers effets dès sa promulgation. Les décrets nécessaires seront pris pour que les premières dispositions puissent s’appliquer dans les tout prochains mois, c’est la volonté du Président de la République. Je pense, par exemple, à la création du Compte personnel d’activité, à la généralisation de la Garantie jeunes, ou à la mise en œuvre du droit à la déconnexion. Dans un monde fait de mutations rapides, nous devons avancer sans perdre de temps. Mais cette loi, qui modifie en profondeur les règles du dialogue social et instaure de nouvelles protections, aura des effets importants sur le long terme.
A un an de la présidentielle, comment rassembler la gauche ?
Sans doute en veillant, plus que jamais, à démontrer qu’il est possible de combiner modernisation économique et préservation de notre modèle social. C’est l’ambition du gouvernement. C’est la seule méthode pour répondre vraiment aux attentes des Français. Et c’est aussi, le moment venu, ce qui pourra rassembler tous les progressistes. Car en face, croyez-moi, la droite défend un tout autre projet de société, avec la fin des 35 heures, la suppression de nombreux services publics ou la suppression de l’ISF…