L'un des premiers soldats à débarquer en Provence, dans la nuit du 14 au 15 août 1944, fut un petit Corse de 15 ans, Ernest Bonacoscia, un Commando d'Afrique déjà couvert de gloire dans la Résistance lors de la libération de son île, en 1943.
"Il m'avait fallu mentir sur mon âge pour qu'ils m'acceptent, d'abord chez les Goumiers (marocains), puis aux Commandos!", en plaisante encore l'adjudant-chef Bonacoscia, 85 ans, qui coule une paisible retraite dans son petit appartement des quartiers sud de Bastia.
Un gosse et pourtant déjà un sacré baroudeur "Nénesse", le surnom donné par ses frères d'armes des Commandos.
Quand il s'élance, à minuit, le 14 août 1944, sur la plage du Canadel (Var) avec la première vague des Commandos d'Afrique, unité de choc de la France libre du lieutenant-colonel Georges-Régis Bouvet, l'adolescent arbore en effet déjà la Croix de guerre 1939-45.
Cette décoration, "la plus chère" à son cœur parmi la trentaine de médailles reçues durant une longue carrière dans l'armée française, lui a été remise en septembre 1943 en Corse, par le général Henri Giraud. Il avait 14 ans.
"L'arrivée fut plutôt calme. La plage n'était pas minée il n'y eut pas de tirs, contrairement au déluge de feu quand nous avions débarqué à l'île d'Elbe", le 14 juin 1944, raconte à l'AFP celui qui fut le benjamin des Commandos.
Bouvet avait dû demander une autorisation parentale pour pouvoir être incorporé au bataillon. Ernest Bonacoscia s'était engagé à Saint-Florent où vivait sa famille et où les Commandos étaient cantonnés, dans le nord de la Corse, "premier morceau de France libérée", dès septembre-octobre 1943, comme le proclamera Charles de Gaulle.
Connaissant tous les chemins de son île, le gamin, né le 25 mars 1929 en Italie, et arrivé en Corse à l'âge d'un an, effectuait des missions de renseignement et liaison pour la Résistance.
Il avait même guidé les goumiers marocains de Saint-Florent au col de Teghime sur les hauteurs de Bastia. Les combats meurtriers de Teghime contre des unités d'élite de l'armée allemande permirent de sceller la victoire finale, en Corse, de la Résistance insulaire et des troupes françaises débarquées quelques semaines plus tôt.
- "Les Démons de la nuit" -
En Provence, "le déluge de feu" s'abattit sur les Commandos lors de l'assaut des falaises du redoutable cap Nègre, hérissé de batteries d'artillerie.
"Le maquis environnant me rappelait la Corse. J'y étais à l'aise", se souvient Ernest Bonacoscia. Il évoque aussi, avec la retenue et la pudeur du vrai soldat, "la première quinzaine de tués, dont un capitaine, et les blessés" aux premières heures de la bataille.
La mission des 600 "Démons de la nuit", sobriquet des commandos, de Bouvet: couper la route, du Lavandou à Cavalaire (Var), aux renforts allemands, avant l'aube.
Petit, vif et plein d'audace, le jeune Corse au sourire malicieux sera l'agent de transmission du colonel Bouvet.
Avec les Commandos d'Afrique, il s'illustrera en prenant d'assaut les puissantes batteries d'artillerie de Mauvannes, dans la reconquête de Hyères, "au prix de lourdes pertes", et lors de la prise du fort du mont Coudon qui domine Toulon.
"La radio ne fonctionnait pas. Je transmettais les ordres en me faufilant au milieu des combats. Des centaines d'Allemands lourdement armés défendaient le fort et pas moyen de les déloger. Il a fallu balancer des grenades par les grilles d'aération pour les faire sortir. Mais on a perdu du monde, notamment le lieutenant Girardon, déjà blessé à Elbe, et dont le fort porte désormais le nom", raconte Ernest Bonacoscia.
Il évoque encore, avec émotion, l'arrivée à Marseille "libérée par mes goumiers, qui avaient libéré ma Corse" et auxquels il est resté profondément attaché.
Ce furent ensuite la vallée du Rhône, la "jonction" avec les forces alliées débarquées en Normandie, les terribles combats des Vosges, de Belfort, dont il est citoyen d’honneur ainsi que du Rayol-Canadel (Var), et d'Alsace avant le franchissement du Rhin, en avril 1945.
"Nénesse" a 16 ans à la fin de la guerre. Plusieurs fois grièvement blessé, il a reçu de nouvelles décorations et distinctions, parmi les plus prestigieuses de l'armée française, mais le bataillon des Commandos d'Afrique est dissous.
Il poursuivra sa carrière dans les rangs des parachutistes, s'illustrant à Madagascar (1947), puis en Tunisie, Indochine, Corée et Algérie.