L'un des artistes contemporains français les plus connus au monde, Pierre Soulages, 94 ans, inaugure ce vendredi dans sa ville natale de Rodez le premier musée à son nom auquel il a donné 250 de ses œuvres abstraites dominées par le noir.
Le président François Hollande fait le déplacement dans l'Aveyron à cette occasion rare: l'ouverture d'un musée public conçu en collaboration avec l'artiste, de son vivant, et porté par sa ville.
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Grand homme d'1m90, en habits noirs depuis sa jeunesse, Soulages est aujourd'hui le peintre des superlatifs: "sans aucun doute l'une des plus grandes figures de l'abstraction tant en France qu'à l'étranger", assure la direction du musée.
Un artiste qu'on n'associe plus qu'à de très gros chiffres: un demi-million de visiteurs pour l'exposition parisienne consacrée à son œuvre en 2010; plus de cinq millions d'euros pour l'une de ses toiles - noire - de 1959 vendue aux enchères l'an dernier à Londres.
A une heure de vol de Paris, le musée table déjà sur 150.000 visiteurs à l'année et la communauté d'agglomération du Grand Rodez (58.000 habitants) compte profiter de cette nouvelle "attractivité". Mais "le point de vue économique, ce n'est pas mon affaire!", lance le peintre avant l'inauguration.
"Ce que je sais, c'est ce que les musées m'ont apporté et comment l'art donne un sens à la vie, pas seulement à la mienne mais à ceux qui regardent", dit-il, jamais très loin de sa femme Colette, rencontrée il y a 76 ans aux Beaux-Arts de Montpellier.
- 'Jamais vu en train de peindre' -
Quand les flashs crépitent, le peintre protège par des lunettes noires son "mal aux yeux" mais en impose par son charisme, son verbe élégant et une mémoire intacte.
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Depuis sept décennies, il dit avoir connu "quelques milliers d'expositions" de ses œuvres dont "plusieurs centaines dans les grands musées du monde". Ce printemps, il a préféré superviser, avec un soin maniaque, l'accrochage de ses toiles à Rodez plutôt que d'honorer l'invitation d'Américains qui le pressaient d'aller "en avion privé, à New York" pour une exposition Soulages "sur Madison avenue, un endroit très couru"...
Aussitôt après la Seconde guerre mondiale, à 27 ans, il est déjà reconnu à l'étranger comme un artiste, non figuratif, radical. A partir de 1979, il se met à travailler essentiellement l'effet de "la lumière réfléchie par des états de surface du noir". Une sélection de ses tableaux abstraits baptisés "Outrenoir" font d'ailleurs l'objet à Rodez d'une exposition temporaire exceptionnelle.
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Le conservateur du nouveau musée, Benoît Decron, regrette de "n'avoir jamais vu Soulages en train de peindre", en silence, ses toiles posées à terre dans ses ateliers de Paris et de Sète (Hérault). Mais le musée, dit-il, servira à comprendre le processus de création dans ce qu'il a de plus hasardeux et de plus concret. A l'adresse des visiteurs, M. Decron annonce: "C'est de l'art abstrait, on ne va pas vous l'expliquer mais on va vous accompagner pour dire comment ça se fait".
- Né à Rodez le soir de Noël 1919-
Soulages revient ainsi à Rodez où il est né le soir de Noël 1919. Son père, mort quand il avait cinq ans, était carrossier pour voitures à cheval. Sa mère, qui "savait à peine écrire et lire", tenait une boutique de chasse-pêche-cordages.
Le public découvrira aussi des peintures sur papier - aujourd'hui très prisées - que Soulages réalisa entre 1946 et 1948 avec un matériau d'artisan, le brou de noix.
Quant au bâtiment du musée - conçu par les catalans RCR Arquitectes et Passelac & Roques Architectes - il se fait presque discret, au milieu du jardin du Foirail et au bord du piton rocheux sur lequel Rodez est construite: "une architecture exemplaire" aux yeux du peintre, heureux que "l'acier Corten des murs s'accorde parfaitement avec la teinte des pierres de la cathédrale" voisine.