A partir du mois de novembre, les habitants de Montreuil (Seine-Saint Denis) pourront payer en "pêches" plutôt qu'en euros chez une trentaine de commerçants volontaires, une première expérience de monnaie locale en Ile-de-France qui donne déjà des idées à ses voisins.
"Ici on a la Pêche!", voilà le slogan qui s'affichera sur la vitrine des boutiques participantes, signalant aux Montreuillois qu'ils peuvent venir y dépenser leurs billets libellés en pêches, explique Bastien Yverneau, responsable de l'association Montreuil en Transition, à l'origine du projet.
Pour tenter l'expérience, il faudra se rendre à l'office de tourisme ou à la mairie, afin échanger ses euros contre ces billets, au graphisme réaliste et imprimés sur papier sécurisé.
Le but: inciter à consommer local, chez les petits commerçants plutôt que dans les grandes chaînes, et sans passer par le circuit bancaire, donc sans "participer à la spéculation ou alimenter les paradis fiscaux", souligne Bastien Yverneau.
Un discours qui a reçu un écho favorable à la mairie de Montreuil, dirigée depuis 2008 par l'écologiste Dominique Voynet.
Une subvention de 30.000 euros devrait être votée lors du prochain conseil municipal, le 26 septembre, pour aider au démarrage du projet (frais d'impression des billets, mise en place de points de change des euros en pêches, etc.).
"La question de la relocalisation de l'économie fait évidemment partie de nos principes, de nos ambitions", souligne Florence Fréry, maire adjointe au développement économique et à l'emploi.
Centres municipaux de santé
Au delà de ce soutien financier, la ville souhaite aussi être "prescripteur", explique l'élue. Les habitants pourront ainsi payer en pêches dans les centres municipaux de santé et les centres de quartier, une première pour une monnaie locale en France.
Cette implication donne de l'ambition à ses créateurs, qui voient déjà la pêche en pionnière d'une monnaie alternative de dimension régionale.
Contacté par des associations du XIème arrondissement de Paris et du Val-de-Marne, Bastien Yverneau leur propose ainsi "de reprendre notre projet, clé en main, pour qu'ils n'aient pas repartir de zéro et puissent lancer la pêche en trois mois".
Si les monnaies complémentaires fleurissent en France, avec une vingtaine d'initiatives en quelques années, à Toulouse, à Romans-sur-Isère ou au Pays basque, elles restent très marginales, avec "au mieux un millier d'utilisateurs", observe Jérôme Blanc, maître de conférence en sciences-économiques à Lyon II.
Mais à Montreuil, la pêche trouve "un ecosytème favorable", affirme Montreuil en Transition.
La troisième ville la plus peuplée de la banlieue parisienne, avec un peu plus de 100.000 habitants, compte en effet un tissu associatif très dense, un niveau élevé de participation citoyenne, et plusieurs commerces alternatifs emblématiques, tels que les supermarchés coopératifs des Nouveaux Robinsons.
Tout se jouera dans la capacité à recruter au-delà des commerçants, à convaincre des médecins, des plombiers, ainsi que les fournisseurs des commerçants, de se laisser payer en pêches, estime Bastien Yverneau.
Pour l'instant, le projet n'en est pas là. Quelques enseignes ont déjà donné leur accord, dont la librairie Folies d'Encre, dans le centre commercial de la Croix de Chavaux, mais la majorité des commerçants rencontrés n'est pas au courant de l'initiative. Tout au plus en ont-ils entendu parler par un voisin, ou ont-ils reçu un prospectus, mais le mécanisme du projet reste flou.
Farid Aït Slimane, gérant du bar restaurant de quartier Harmony, dans le Bas-Montreuil, attend de voir pour se lancer: "Cela dépendra du succès rencontré. Je suis commerçant; si les gens jouent le jeu, je vais jouer le jeu".
De l'autre côté de la rue, au Manhattan, la pêche a moins bonne presse. "On reste à l'euro, c'est plus sûr", lâche le patron, Aissa Bouarroudj. Ses clients sont plus loquaces: "On a déjà assez de pièces dans la poche, on ne va pas jongler avec trois monnaies", s'exclame Jean.
Un scepticisme que partage Grégory Micheletti, propriétaire de quatre commerces sur la rue de Paris: "L'économie réelle, elle n'est pas locale", estime-t-il, donnant l'exemple de ses fromages, livrés en direct depuis les Cévennes et le Gers. Le projet est "rigolo" et "fera parler de Montreuil", mais à l'heure où les commerçants courent après la trésorerie et où les particuliers jonglent avec le débit différé de leur carte bleue, la pêche "ne s'adresse qu'à la population la plus aisée", conclut-il.