Jean-Marc Ayrault a rendu un premier arbitrage sur le projet de loi pénale qui a créé un clash au sein même de son gouvernement, confirmant la suppression des peines plancher mais excluant l'idée de remises en liberté conditionnelle d'office.
"Il n'y aura (...) pas de peines automatiques, comme il n'y aura pas non plus de libérations automatiques. Ça n'a jamais été envisagé", a lancé devant les caméras le Premier ministre, en déplacement mardi à Marseille après un treizième règlement de comptes cette année. A ses côtés, ses ministres de l'Intérieur Manuel Valls et de la Justice Christiane Taubira faisaient assaut d'amabilités après avoir étalé leurs dissensions sur la place publique, le premier sollicitant l'arbitrage de l'Elysée sur les nombreux "désaccords" autour du texte.
En clair, le gouvernement entend bien supprimer les peines plancher -mesure emblématique du sarkozysme créée en 2007 et dont l'abrogation était une promesse de campagne de François Hollande - mais pas suivre jusqu'au bout les recommandations de la "conférence de consensus" réunie par la Chancellerie pour préparer la réforme. Celle-ci avait préconisé en février un "modèle de libération conditionnelle d’office" appelé à devenir "un processus inhérent à l’exécution de la peine de prison".
Pour ses partisans, une telle mesure doit permettre d'éviter les sorties "sèches" de prison, à savoir sans projet ou accompagnement. Des sorties qui représentent actuellement 80% des libérations, ce qui a des "conséquences sur la récidive", a déploré mardi M. Ayrault, s'engageant à "construire le texte qui va permettre de résoudre cette question".
Politiquement sensible
L'éventualité de libérations d'office avait hérissé les syndicats policiers, tout comme l'USM, principal syndicat de magistrats, opposé aux peines plancher mais qui dénonçait le remplacement d'un automatisme par un autre.
Selon LePoint.fr, qui a publié des extraits d'un "avant-projet" de la loi pénale, le texte initial prévoyait que la situation des condamnés à cinq ans de prison ou moins, ayant effectué les deux-tiers de leur peine, "est obligatoirement examinée (...), afin que soit prononcée une mesure de sortie encadrée".
Une formulation ("examinée") ambiguë, mais dont les partisans de la réforme craignent qu'elle ne fasse les frais de la polémique en cours. "Que veut-on faire de la peine", interroge ainsi Françoise Martres, présidente du syndicat de la magistrature (gauche). "Une étape dans le processus de réinsertion ou une exclusion de la société?"
Elle dénonce le "renvoi dos à dos" de la question des sorties sèches avec celle des peines plancher. "Les peines plancher et la récidive, ce n'est pas la même chose. On sait ce qu'il faut faire pour lutter contre la récidive, mais on ne peut pas poser la question parce que sinon on est +laxiste+. Nous craignons qu'au final la loi pénale ne soit vidée de sa substance".
Au sein du gouvernement, des voix s'élèvent aussi pour soutenir la garde des Sceaux. "En matière de justice, il n’y a qu’une ligne de gauche. Elle est très bien portée par Christiane Taubira", a ainsi lancé la ministre écologiste Cécile Duflot dans Libération mercredi, une grosse pierre dans le jardin de son collègue de l'Intérieur, dont l'activisme irrite jusque dans son camp.
Les discussions promettent donc d'être vives avant la présentation du texte, promise pour septembre par le Premier ministre. D'autant que le sujet est politiquement "sensible", comme l'avait souligné M. Valls dans sa lettre demandant une "clarification de nos orientations".
Et qu'outre l'aménagement des fins de peines, une autre mesure phare du texte, la création d'une "peine de probation" sans lien avec la prison, est loin de faire l'unanimité, notamment en raison du manque de moyens pour assurer son fonctionnement.