Grande figure de la Résistance lyonnaise durant la Seconde Guerre mondiale, Lucie Aubrac est morte à l’âge de 94 ans le 14 mars 2007. Avec elle disparaissait une des dernières légendes de «l’Armée des ombres».
Archives – Article publié le jeudi 15 mars 2007
Lyon, 21 octobre 1943. Un convoi allemand fait la liaison entre la prison lyonnaise de Montluc et le siège de la Gestapo. A bord d’un des camions, plusieurs résistants prisonniers, dont Raymond Aubrac, capturé au mois de juin à Caluire, en compagnie de Jean Moulin. Des coups de feu éclatent, les véhicules sont stoppés et pris d’assaut. Quatre soldats allemands sont abattus. Les captifs sont libérés. L’architecte de cette opération magistrale s’appelle Lucie Aubrac. Avec une détermination sans faille, elle a fait l’impossible pour libérer son mari, avec qui elle est entrée dans la Résistance dès 1940. Désormais identifié et menacé, le couple rejoint Londres en février 1944.
Une femme engagée
Lucie Bernard est née le 29 juin 1912 à Mâcon, dans une famille de vignerons. Brillante, elle réussit le concours de l’Ecole normale supérieure. Elle est une des rares femmes de sa génération à obtenir l’agrégation. Proche des milieux communistes, elle s’inquiète de la montée du nazisme à partir de 1933. A Strasbourg, où elle est professeur, elle rencontre Raymond Samuel, qu’elle épouse en 1939. Peu de temps après la défaite de 1940, le couple participe à la création du mouvement Libération-Sud aux côtés de Jean Cavaillès (fusillé au début de 1944) et d’Emmanuel d’Astier de La Vigerie. C’est à cette époque que Lucie et Raymond Samuel prennent le pseudonyme d’«Aubrac».
En novembre 1942, quand les Allemands envahissent la zone Sud, l’action du mouvement s’oriente directement contre l’occupant et non plus seulement contre Vichy. Parallèlement, la
Résistance tente de s’unifier sous la direction de Jean Moulin. A l’époque, Lucie Aubrac remplit plusieurs missions de liaison entre les mouvements de l’ombre. Mais les services de Klaus Barbie identifient peu à peu le réseau, qu’ils décapitent à l’occasion du coup de filet de Caluire. A l’origine de cette rafle : une trahison qui demeure objet de controverses pour de nombreux historiens et journalistes (Jean-Pierre Azéma, Pierre Péan, Jacques Baynac, Gérard Chauvy…). Quatre mois après Caluire, Lucie Aubrac fait libérer son mari. La légende commence. Elle inspirera le cinéaste Claude Berri qui confie à Carole Bouquet le rôle de Lucie dans le film qui porte son nom (1997).
Vidéo : bande-annonce du film de Claude Berri, Lucie Aubrac
Après la résistance
Après le départ des Allemands, Lucie Aubrac est chargée par le général de Gaulle de mettre en place les comités départementaux de Libération, chargés de conduire l’épuration et de préparer la mise en place de nouvelles institutions. Proche des communistes sans être encartée, elle accepte de se présenter en Saône et-Loire aux élections de 1946 sur une liste conduite par Waldeck Rochet, futur secrétaire général du PCF. A la même époque, Lucie Aubrac s’engage en faveur de l’émancipation féminine.
Lucie Aubrac retourne très vite à l’enseignement et à la recherche. Mais elle met sa notoriété au service de la cause tiers-mondiste. En pleine guerre froide, elle fait campagne contre la bombe atomique avec Yves Farge. De même, elle s’oppose au maintien de la présence française en Indochine, au Maroc et en Algérie. Parmi ses prises de position les plus récentes, un appel en faveur de la libération des prisonniers d’Action Directe, cosigné par son mari, Raymond Aubrac.
Lucie Aubrac, bien que très âgée, a multiplié les rencontres avec les jeunes écoliers, collégiens et lycéens de France. Elle a par ailleurs consigné ses mémoires dans un ouvrage intitulé Ils partiront dans l’ivresse (1984). Ce titre est inspiré du message diffusé en 1944 sur les ondes de la BBC, indiquant que Lucie et Raymond Aubrac étaient bien arrivés à Londres après leur évacuation hors de France. Plus récemment, elle avait signé La Résistance expliquée à mes petits-enfants (2000).
Lucie Aubrac figure dans la mémoire des Français parmi le panthéon des grands visages féminins de la Résistance où figurent Bertie Albrecht, Laure Diebold, Adelaïde Hautval, Marcelle Henry, Simone Michel-Lévy ou Violette Szabo.
Le résistant Raymond Aubrac est mort
Rafle du Vil' D'Hiv' : "nous étions plongés dans la bestialité"
Débarquement allié du 6 juin 1944 : "On nous avait dit qu'un gars sur deux ne reviendrait pas"