La deuxième semaine du procès des parents de la petite Marina, morte en 2009 des violences qu’elle avait subies, a été marquée hier par les plaidoiries des avocats des parties civiles. Pierre-Olivier Sur et Clémence Witt, avocats de l’association Innocence en Danger, répondent aux questions de DirectMatin.fr
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La deuxième semaine du procès des parents de Marina Sabatier s’achève. Vous avez plaidé hier au tribunal. Quel fut l’objet de votre intervention ?
Pierre-Olivier Sur : J’ai commencé par saluer le courage des jurés car aucun d’entre eux n’a craqué. Puis j’ai rappelé un terrible chiffre : chaque jour en France, deux enfants meurent suite à des actes de maltraitance. Deux enfants ! Et souvent, dans la plus grande indifférence. Les divers psychiatres qui se sont succédé à la barre l’ont dit : Eric Sabatier et Virginie Darras ne souffrent d’aucune maladie mentale. En somme, des gens à peu près normaux, mais un couple uni par un amour déséquilibré dont Marina est devenue un « doudou à l’envers ».
Clémence Witt : Les innombrables sévices endurés par Marina Sabatier n’ont pas seulement blessé son corps de petite fille ou traumatisé son âme d’enfant. Ils ont anéanti son être. Ils ont, peu à peu, détruit son humanité. Ils lui ont ôté ce qu’il y a de plus sacré, sa dignité. Alors, j’ai commencé par rappeler que dans la hiérarchie des normes, la dignité occupe la plus haute place.
Puis, j’ai essayé de mettre en évidence les mécanismes qui ont conduit à ce drame. D’abord l’exclusion systématique de Marina, une exclusion physique et symbolique. A la maison, Marina n’avait pas le droit de vivre. Pourquoi ? Certainement car les tortures infligées créaient un lien entre Eric Sabatier et Virginie Darras. Le couple avait besoin d’elle pour exister. Marina constituait le lieu d’expression des conflits, l’unique point de contact entre ces parents, une sorte « d’objet transitionnel ». Ils étaient prêt à tout pour perpétuer son exclusion et vivre à huis-clos : à se désocialiser, à déménager tous les six mois, à mentir. Enfin, le dernier élément de ce drame, c’est la responsabilité d’une société incapable de déceler le drame qui se nouait et d’identifier à temps des parents devenus bourreaux.
Pierre-Olivier Sur : Pour finir, j’ai expliqué aux jurés que l’enjeu du procès dépassait le cadre de cette cour d’assises. Il y a des procès qui ont changé les choses en France, comme pour la peine de mort, l’IVG ou l’euthanasie. Le procès des parents de Marina doit permettre de réformer en profondeur la prise en charge de la maltraitance des enfants. Il y a urgence et il est temps d’en prendre conscience.
Au terme de cette deuxième semaine d’audiences, en sait-on un peu plus sur les ressorts de l’acharnement des parents Sabatier sur la petite Marina ?
Clémence Witt : La chape de silence et de secret qui pesait sur cette famille n’a pas explosé. Nul ne saura ce qui s’est réellement passé dans ces chambres, dans ces greniers, dans ces caves. Les cris, les pleurs, la souffrance de Marina , seuls les accusés pouvaient les révéler. Malheureusement ils n’ont rien dit, ils ont nié, ils ont menti. Seules les maltraitances et sévices constatés par des témoins ont été confirmés. Comme le président de la cour d’assises l’a plusieurs fois rappelé, dans ces circonstances, il serait légitime de craindre que le couple n’ait révélé que la phase cachée de l’iceberg.
Quels ont été les temps forts de cette deuxième semaine ?
Clémence Witt : Le récit des heures qui ont précédé la mort de Marina a été un moment particulièrement dur. Le plus terrible est de réaliser qu’il s’agissait d’une soirée normale pour les époux Sabatier, confirmant l’impression de banalisation du mal et de répétition des séances de torture. Cette nuit du 6 août 2009, Marina a passé des heures dans un bain glacé, battue et maintenue la tête sous l’eau. Puis elle a été conduite nue dans la cave où les sévices continuent et meurt, seule, sur un sol glacé, après des heures d’agonie.
Jusqu’à la veille de sa mort, Marina manifestait de l’affection pour ses parents. Comment est-ce possible ?
Clémence Witt : Ce phénomène est caractéristique des enfants maltraités. Pour Marina, la maltraitance était la norme. Et, comme tous les enfants, elle cherchait à être aimée par ses parents à tout prix.
Pierre-Olivier Sur : J’ai raconté à ce sujet une histoire tirée de La vie devant soi : un roman que Romain Gary avait écrit sous le nom d’Émile Ajar. Celle de cet enfant élevé par une prostituée qui un jour vole un œuf à une marchande. La marchande l’attrape et l’enfant lui explique qu’en volant cet œuf, il espère prendre une gifle, parce qu’avoir une maman, pour lui, c’est aussi ça…
Vous expliquez que Marina était devenue l’objet de liaison du couple Sabatier… Que devenait leur couple sans elle ?
Clémence Witt : Dans un premier temps, les parents ont gardé le corps de Marina dans un congélateur. C’est seulement sous la contrainte qu’ils s’en sont séparés. Marina rythmait la vie quotidienne de ce couple. Pendant la journée, ils s’appelaient pour parler d’elle. Le soir Virginie Darras accueillait son mari avec le compte-rendu des méfaits prétendument accomplis par leur fille. Et la nuit…c’est autour des sévices et des tortures qu’ils se retrouvaient. Le couple n’a d’ailleurs pas résisté à la disparition de Marina : ils ont divorcé en 2011 alors qu’ils étaient en prison.
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