Après le succès en librairie de La Terre vue du ciel, le photographe Yann Arthus-Bertrand est devenu, au même titre que le commandant Cousteau ou Nicolas Hulot, l’une des figures phares de la protection de l’environnement, en France et dans le monde. Avec ses photos, Yann Arthus-Bertrand a révélé la fragilité des écosystèmes et des équilibres naturels. Il ne cesse, depuis, de dévoiler les beautés de la planète. Le photographe et infatigable globe-trotter est devenu l’un des grands défenseurs de l’environnement.
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Depuis la parution de son best-seller, La Terre vue du ciel en 1999, le photographe s’est transformé en combattant pour l’environnement, rejoignant ainsi Nicolas Hulot ou Al Gore. S’il est devenu une célébrité, c’est parce que, à partir de son métier de photographe, il a découvert les dangers courus par la planète. Tout a commencé avec ses photos: un cœur, couleur terre, dessiné dans la verte mangrove néo-calédonienne; le plus grand labyrinthe végétal du monde révélé par une vue aérienne ; le découpage des champs de lavande dans le Vaucluse : ces clichés ont fait le tour du monde.
A vingt ans, Yann Arthus-Bertrand rêve d’être acteur. Ce qui a failli se produire : on le retrouve à l’affiche de Dis-moi qui tuer (d’Etienne Périer, 1965), film dans lequel joue Michèle Morgan. «Je n’étais pas si mauvais. En fait, je ne travaillais pas assez.» Puis il rencontre sa femme. «Elle avait une grande propriété dans l’Allier, alors nous avons créé une réserve. C’est mon épouse qui m’a transmis la passion pour la nature, les animaux. On importait des animaux de l’étranger. Aujourd’hui, avec le recul, j’aurais franchement honte de faire ça...»
Depuis, le photographe s’est engagé dans une lutte pour préserver l’environnement. Comment en est-il arrivé là ? C’est à l’âge de 30 ans que Yann Arthus-Bertrand fait ses premiers pas dans la photographie. A l’époque, il vit au Kenya avec sa femme et mène une étude sur le comportement des lions, dans la réserve du Masaï Mara. L’image devient alors pour lui un complément de l’écriture, et il se plaît à dire que «ce sont les lions qui lui ont appris la photo». En 1981, il publie en effet son premier ouvrage, Lions, fruit de trois ans d’observation des grands fauves au Kenya. Au cours de ces quelques années passées sur les terres kenyanes, il devient pilote de montgolfière pour gagner sa vie. Il découvre ainsi l’altitude et prend goût aux paysages vus d’en haut, aux sensations aériennes.
C’est sans doute là que sont nés ses envies, ses passions, sa vocation, ses ambitions et ses projets, nombreux, pour lesquels il est devenu depuis quelques années déjà un personnage médiatique, connu et reconnu dans le monde entier. Il découvre ce que peut apporter la photographie : le moyen de faire passer un message. Il devient photoreporter. Du Dakar à Roland-Garros en passant par le portrait de la primatologue Diane Fossey, le photoreporter trace son chemin. Jusqu’à trouver l’idée qui fera décoller les ventes, mais qui deviendra sa raison de vivre.
Vidéo : Portrait de Yann Arthus-Bertrand
Trois millions d’exemplaires
En 1991, il crée l’agence Altitude, une banque d’images aériennes. En 1994, il entreprend de photographier les plus beaux paysages du monde. En 1999, paraît la première édition d’un ouvrage qui fera date. La Terre vue du ciel s’arrache en librairie. Le travail de promotion de l’ouvrage est orchestré par son ami et éditeur Hervé de La Martinière. La réussite commerciale est immédiate. Pourtant, au moment de publier l’ouvrage, Yann Arthus-Bertrand a hésité. «C’est un perfectionniste qui ne se sent jamais prêt. A un moment, il faut l’obliger. Je lui ai dit : “Ça va être le livre de ta vie”», se souvient Hervé de La Martinière. Sous le sapin de Noël, dans les étagères au rayon beaux livres... plus de trois millions d’exemplaires de La Terre vue du ciel ont été vendus à travers le monde.
Le travail qui a précédé la sortie de La Terre vue du ciel a profondément transformé son auteur. On le ressent et lui-même le reconnaît : « J’adore ce recul, le point de vue que cela m’apporte sur notre Terre.» Et lorsque Yann Arthus-Bertrand regarde la Terre, les hommes ne sont jamais loin de son champ de vision. «J’ai rencontré des hommes dont la seule ambition, chaque jour, est de nourrir leur famille. Nous avons oublié cela, cette courageuse ambition du travail de la terre pour se nourrir. Malheureusement, ce seront ces populations qui payeront le prix fort du changement climatique. Et dire que pour eux notre monde, ce «monde conso» dont je parlais, c’est le monde dont ils rêvent ! Quel exemple leur donne-t-on ?»
En 2000, deux millions de visiteurs se pressent devant les grilles du jardin du palais du Luxembourg à Paris pour découvrir les 130 photographies de l’exposition. Le Sénat autorisera une prolongation d’un mois de la manifestation. Des guides scientifiques sont envoyés aux professeurs qui accompagnent leurs élèves. C’est un succès phénoménal. L’engouement des écoliers lui donne une nouvelle idée. Les classes se sont déplacées en masse pour voir son exposition, désormais c’est lui qui investira les établissements scolaires. Yann Arthus-Bertrand monte une opération pédagogique. Son souhait : que ses photos servent de support pour expliquer aux scolaires le concept de développement durable.
Celui qui dit «toujours chercher un sens à son travail», vient d’en trouver un. Les ministères de l’Education national et de l’Écologie soutiennent le projet. Sous les préaux, dans les couloirs, les réfectoires, toutes les écoles de France affichent les clichés de la Terre vue d’en haut. «S’il y a une chose dont je suis particulièrement fier, c’est celle-là.» Le photographe ajoute avec humour qu’il est «rare qu’un gamin qui n’a pas cessé de changer d’établissement finisse par travailler en partenariat avec le ministère de l’Education nationale». C’est ainsi que Yann Arthus-Bertrand s’assigne une nouvelle mission : «Faire naître chez les jeunes générations un profond respect, et une responsabilité envers la nature.»
Vidéo : Bande-annonce de Planète Océan, réalisé par Yann Arthus-Bertrand
Sainte colère
Le monde dans lequel nous vivons commence à irriter le photographe, ses aberrations, ses gaspillages, son «ordre» des choses. «Nous vivons dans un monde de consommation. Avant même d’entrer à l’école, un gosse a déjà vu des milliers de pubs. On vous dit que votre téléphone est dépassé au bout de six mois et tout le monde trouve cela normal ! Savez-vous que l’on remue 500 kilos de terre pour produire un téléphone mobile et qu’il s’en vend désormais un milliard par an ?» Dans le même élan, il ajoute : «Je ne dis pas que c’est facile. On peut avoir envie de posséder un 4x4, pourquoi pas, mais à condition de sacrifier de temps en temps au covoiturage, parce qu’utiliser une voiture de deux tonnes pour trimballer un gars de 70 kilos, c’est aberrant ! Ça manque de bon sens.»
Les photos de Yann Arthus-Bertrand transmettent un message : la Terre est belle, préservez-la ! Message initial dont le célèbre photographe n’a pas eu immédiatement conscience en les mettant en boîte, mais qu’il défend maintenant avec passion. «L’écologie, pour moi, c’est vivre ensemble. Il n y a pas de solution à opposer les gens, les chasseurs et les protecteurs d’oiseaux, les agriculteurs et les protecteurs de l’environnement. Ca n’a pas de sens, et, en tout cas, ce n’est pas celui d’une solution.»
«On n’a rien inventé, les gars comme Nicolas Hulot ou moi, finalement. On nous caresse dans le sens du poil aujourd’hui parce que l’environnement est dans l’air du temps, mais nos propos sont ceux que René Dumont tenait déjà. [René Dumont fut en 1974 le premier candidat écologiste à se présenter à l’élection présidentielle. Il fut aussi l’un des premiers à dénoncer les dégâts de la Révolution verte et à lutter contre l’agriculture productiviste, ndlr] Ce sont des gars comme lui qui ont fait avancer tout cela, ce sont des précurseurs. Même si c’est vrai qu’aujourd’hui les citoyens sont plus attentifs et commencent à entendre le message.» Yann Arthus-Bertrand a su prendre le relais pour défendre le plus précieux de tout: notre Terre.
Vidéo : Documentaire Les plus beaux chevaux du monde, réalisé par Yann Arthus-Bertrand
L’œil qui fait la différence
Les plus fascinés par ce personnage sont d’abord ses propres collaborateurs. Sur son site Internet, Yann Arthus-Bertrand a choisi de laisser la parole à son équipe. «Nous roulions sur le taxi way, une petite voie qui permet d’aller du parking à la piste de décollage. Yann m’a dit d’arrêter l’appareil. Pendant vingt minutes, il a photographié ce qu’il voyait. Et je dis bien, ce que lui voyait... car pour moi, nous étions juste au milieu de nulle part, sur une voie parallèle à la piste. C’est au développement des photos que j’ai compris. J’ai tout de suite pensé à une toile de Braque. Voilà ce qui fait la différence : cet œil qui voit des choses que les autres ne verront que sur la photo», raconte un collaborateur.
Un autre se souvient de la compassion d’Arthus-Bertrand pour une mère qui venait de perdre sa fille. Ceux qui ont accompagné «Yann» en vol dévoilent leurs anecdotes. «En 2001, nous devions réaliser des photographies aériennes de Lyon», se souvient Sybille d’Orgeval. La manœuvre se termine par un atterrissage mouvementé après la troisième sommation de la tour de contrôle. C’était le 11 septembre, l’attentat du World Trade Center venait de se produire et le survol de la deuxième ville de France par un hélicoptère avait fait naître un mouvement de panique au sein de la population.
Un caractère exigeant se dessine au travers des témoignages de son équipe. Un homme qui demande beaucoup : les campagnes photographiques commencent «avant l’aube, vers 3 heures et demi, et les journées se terminent vers 11 heures ou minuit». Il est aussi un patron, dont les «savons» sont redoutés, mais qui désamorce les conflits avec humour. Aujourd’hui, l’agence Altitude compte une quarantaine de salariés. Une équipe dévouée au capitaine du navire. Le projet de La Terre vue du ciel a obtenu le patronage de l’Unesco, tandis qu’un organisme de voyage a commandé un livre sur ses villages de vacances et qu’un fabricant de films photographiques a apporté son soutien financier.
Vidéo : Court-métrage sur la ville de Metz réalisé par Yann Arthus Bertrand
L’homme et son paysage
En travaillant sur La Terre vue du ciel, Yann Arthus-Bertrand avait très vite senti «qu’il manquait au portrait aérien du monde une profondeur de témoignage». C’est ainsi qu’est née l’idée de 7 milliards d’autres (http://www.7billionothers.org/fr), lancé en 2003. Une dizaine de cameramen parcourent le monde pour rencontrer les hommes et les femmes qui vivent dans les lieux qu’il a photographiés du ciel. 7 milliards d’autres, ou le témoignage filmé de milliers d’hommes et de femmes de 75 nationalités. Pendant quatre ans, les équipes de reporters de Yann Arthus- Bertrand ont sillonné le monde pour poser à ces individus rencontrés par hasard, au fil des voyages, une quarantaine de questions. Des questions universelles, affinées en cours de route et qui abordent des thèmes aussi divers que le bonheur, le sens de la vie après la mort, Dieu, le pardon, les épreuves, les tensions, les guerres, les différences, le progrès... L’agriculteur afghan, le pêcheur brésilien, le millionnaire saoudien, la réfugiée irakienne ou la révoltée japonaise se sont tous livrés à l’exercice en confiant à la caméra quelques souvenirs – drôles ou émouvants – de leur vie.
Ce grand projet du photographe est né d’un constat : «Je me suis rendu compte sur le terrain qu’on ne pouvait pas dissocier l’homme de son paysage». Pendant ce temps, un deuxième volet de son exposition destinée aux établissements scolaires, Le développement durable, pourquoi ? tourne dans les classes. Cette fois, il est question de biodiversité. Lors de la présentation à la presse de cet outil pédagogique, Yann Arthus-Bertrand a répété ce qui est véritablement une profession de foi : «On ne peut pas attendre tout des autres, agir une fois que le mouvement est amorcé. J’ai parfois suivi des initiatives. Aujourd’hui je veux donner l’élan».
Vidéo : 7 milliards d’autres
Yann Arthus-Bertrand avait ce projet en tête depuis longtemps. «Quand je travaillais sur La Terre vue du ciel dans les années 1980, j’ai eu une panne d’hélicoptère au Mali et j’ai été accueilli par une famille dans un petit village durant deux jours. Ces gens m’ont beaucoup donné, ils ont tué un mouton, m’ont montré leurs trésors, un coran et un petit bijou gardés dans une cantine. Et puis, avant de les quitter, le père de famille m’a dit que sa seule ambition dans la vie était de nourrir ses enfants», raconte-t-il. Cette phrase a été «un déclencheur». «Dès que j’apercevais ensuite quelqu’un au loin, je me demandais ce qu’il aurait à me dire», poursuit Yann Arthus-Bertrand. «Je voulais interroger tous ces gens qui vivent sous mes photos (...). Avec La Terre vue du ciel, j’étais très loin, là je voulais aller très près», précise-t-il.
Avec tous ces témoignages, «on voit bien qu’on est des personnes uniques mais qu’on se ressemble tous», déclare celui qui est à l’initiative du projet. «Quand on écoute ces gens parler, on se dit que c’est nous qui parlons», ajoute- t-il. Alors à la question «avez-vous trouvé vous-même vos propres réponses à ces quarante interrogations ?», Yann Arthus- Bertrand botte en touche et répond, non sans humilité : «Pas vraiment.»
Protection de l’environnement
Dès qu’on l’interroge sur les changements climatiques et sur son engagement pour le respect de l’environnement, Yann Arthus-Bertrand n’est plus avare de son temps. A ce sujet, il est intarissable: il prend très à cœur le rôle de défenseur de l’environnement que les médias lui ont donné. Il passe d’un sujet à l’autre: le réchauffement climatique bien sûr, la désertification, l’affaiblissement de la biodiversité, les 4x4, un mot sur la pauvreté de certaines populations, la clairvoyance d’autres, les OGM... Le photographe, qui dit de lui-même qu’il est une éponge, connait bien la leçon et la récite avec conviction, la sienne, celle d’un citoyen de la Terre qui a pu observer les prémices des périls annoncés. « Ca fait vingt ans que je sillonne la planète, que je la survole et j’ai réellement vu des changements. A Bornéo, par exemple, la déforestation est criante. Pour le photographe que je suis, cela peut avoir des aspects très graphiques, presque beaux, comme les rivières qui déversent des eaux colorées dans les estuaires. Mais au-delà des belles couleurs, des lignes droites, c’est l’Océan qui est pollué, les champs de soja, les plantations de palmiers à huile qui remplacent la forêt ! »
Vidéo : Bande-annonce de La Soif du monde, réalisé par Yann Arthus-Bertrand
«Depuis mon travail sur le projet de La Terre vue du ciel, je suis atterré de ce manque de vision que l’on a sur le changement climatique», explique Yann Arthus-Bertrand, «écolo depuis longtemps». Ses voyages menés à travers le monde depuis dix-huit ans dans le cadre de La Terre vue du ciel l’ont «beaucoup touché» et «vraiment transformé». Il prend alors conscience de l’état de détérioration environnementale du globe. Une obsession naît et l’habite depuis : «Faire un travail utile, car nous sommes entourés de choses qui ne servent à rien», affirme-t-il.
En 2005, il crée ainsi GoodPlanet, une association loi 1901 à but non lucratif qui vise à «sensibiliser le public à la protection de l’environnement et à apporter des réponses concrètes à la crise écologique». L’un des projets de l’association s’appelle «Action Carbone» et permet de calculer et compenser les émissions de gaz à effet de serre.
Home, un documentaire dans la lignée d’Al Gore
En 2009, à l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement, Yann Arthus-Bertrand présente Home, un documentaire écologiste visible simultanément dans plus de 100 pays, gratuitement sur Internet et à prix coûtant en cinéma et en DVD. Une première. Le photographe a fait appel au groupe PPR dirigé par François-Henri Pinault pour financer ce projet faramineux (10 millions d’euros sur un budget de 12 millions) mais aussi à Luc Besson, spécialiste français hors catégorie de la production cinématographique à grande échelle
Vidéo : Bande-annonce de Home (2009)
Le film se situe dans la droite ligne du travail photographique de Yann Arthus- Bertrand, avec un enchaînement de vues de la Terre depuis les airs. Pas de grande originalité donc, mais un message fort et optimiste livrant les clés pour réagir. «Il est trop tard pour être pessimiste et j’aimerais ramener l’écologie au cœur des consciences (...) Les réponses sont là, si vous ne les voyez pas, c’est que vous ne voulez pas», insiste le réalisateur.
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