Alors que le compteur électrique "intelligent" Linky doit être déployé dans toute la France à partir de 2013, l'expérimentation menée dans les zones rurales d'Indre-et-Loire continue de diviser, avec de nombreuses interrogations sur son utilité réelle et son coût.
"Cette expérience a été menée de façon strictement industrielle par ERDF - filiale d'EDF chargée de la distribution du courant - sans tenir assez compte de l'intérêt des usagers", estime Jean Lagoutte, responsable du dossier Linky à l'association UFC-Que Choisir d'Indre-et-Loire.
Le mois dernier, UFC-Que Choisir a relancé la polémique en lançant un recours auprès du Conseil d'Etat, doublé d'une campagne nationale d'information.
Principal grief: le compteur ne permet pas aux usagers de faire des économies d'énergie, contrairement à ce qui était annoncé. Un reproche partagé par plusieurs responsables, élus, usagers interrogés par l'AFP, ainsi que par l'ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie).
"On veut un afficheur déporté ou un outil moderne de communication, internet ou smartphone par exemple, qui permet d'avoir en temps réel la transcription des informations du compteur", résume Jean-Luc Dupont, président du Syndicat intercommunal d'énergie d'Indre-et-Loire (SIEIL). Ce syndicat regroupe les 150 communes intégrées à l'opération.
"En milieu rural, 80% des compteurs ne sont pas installés dans des lieux de vie, c'est un sur deux en moyenne en France", souligne M. Dupont.
Deux expérimentations ont été menées ces dernières années: l'une en Indre-et-Loire, département à majorité rurale où quelque 87.000 compteurs jaune fluo ont été installés entre mars 2010 et mars 2011, l'autre en zone urbaine à Lyon.
Au départ, l'objectif, imposé par une directive européenne, est simple: permettre au consommateur de connaître en temps réel sa consommation, pour mieux la maîtriser et donc faire des économies.
"Nous travaillons à la mise à disposition d'un site internet sécurisé gratuit, qui permettra aux clients de suivre l'évolution de leur consommation sur leur ordinateur, ou sur leur télé, voire de proposer des alertes sur le téléphone portable", répond Jean-François Quinchon, directeur territorial d'ERDF qui a piloté l'expérimentation en Indre-et-Loire.
Il rappelle par ailleurs que Linky permet au fournisseur d'établir les factures sur consommation réelle et non plus sur estimation.
Insuffisant, rétorquent les intéressés.
Le SIEIL a ainsi mené une enquête auprès de 1.500 foyers: si 69% jugent Linky utile ou très utile, seuls 6% indiquent avoir changé leurs habitudes de consommation.
Autre problème: le coût (4,5 milliards d'euros selon ERDF). L'installation du compteur est gratuite pour l'usager. Mais les associations soupçonnent que les consommateurs le paieront indirectement via le "TURPE", un prélèvement sur les factures d'électricité censé financer les investissements dans les réseaux électriques.
Idem pour l'accès au suivi de consommation en temps réel: les sceptiques soupçonnent qu'il faudra mettre la main à la poche pour obtenir des appareils ou des services supplémentaires.
"Il faudra payer pour obtenir ce pour quoi Linky a été lancé", s'indigne M. Lagoutte. "Ca peut être discriminatoire pour les plus précaires, qui n'y auront pas accès alors que c'est eux qui en ont le plus besoin", renchérit M. Dupont.
L'enquête souligne également les nombreux dysfonctionnements lors de la mise en oeuvre: compteurs mal posés, qui disjonctent fréquemment, factures qui s'envolent, manque d'information...
ERDF assure que ces problèmes de jeunesse, qui portaient sur 1% des compteurs, sont résolus. Et avance d'autres arguments: interventions à distance - plus rapides et moins coûteuses - en cas de panne, mises en service accélérées...
Mais certains pensent qu'en donnant son feu vert au déploiement de 35 millions de Linky dans tout le pays à compter de 2013/2014 (si ERDF et les collectivités s'entendent sur le financement), le gouvernement sortant est allé un peu vite.
"L'expérimentation n'a pas été évaluée jusqu'au bout, (l'ex-ministre de l'Industrie) Eric Besson a fait les choses à marche forcée", regrette le député PS d'Indre-et-Loire Jean-Patrick Gille.
Pour l'UFC, il faudrait carrément reprendre l'expérience "en modifiant le type d'appareil".
ERDF balaie ces critiques, avec un ultime argument: "Linky va créer 5.000 emplois de poseurs pendant cinq ans, avec les emplois induits on estime à 10.000 emplois l'impact de Linky".