Comment lutter contre la fuite des médecins hospitaliers vers le privé ? En donnant envie aux jeunes d'entrer dans le public et aux autres d'y rester, répond Marisol Touraine, avec un plan d'action de 250 millions d'euros d'ici à 2019.
Le défi est de taille, alors que se profile "un choc démographique", selon l'ancien sénateur Jacky Le Menn, auteur d'un rapport sur l'attractivité hospitalière qui a servi de base aux mesures dévoilées lundi par la ministre la Santé. Selon lui, d'ici à 2020, près de 30% des praticiens hospitaliers partiront à la retraite. Or "les jeunes se sentent aujourd'hui peu incités à s'engager" dans le public, a rappelé Marisol Touraine devant la presse.
Contrairement à une idée reçue, les fermetures de services temporaires, souvent controversées, comme celle des urgences de Valognes (Manche) cet été, sont liées, "dans l'écrasante majorité des cas", non pas à des contraintes budgétaires mais à des difficultés de recrutement face à la concurrence du secteur privé, a insisté la ministre. De fait, les salaires s'avèrent souvent plus attractifs dans les cliniques privées, mais surtout dans l'intérim, auquel recourent les hôpitaux qui peinent à recruter, en particulier en anesthésie-réanimation, en chirurgie et en radiologie.
Les médecins remplaçants sont ainsi rémunérés deux à quatre fois plus que leurs confrères titulaires pour une journée. Au total, l'intérim coûterait 500 millions d'euros par an, selon un rapport parlementaire publié en décembre 2013. Des dépenses que le projet de loi santé doit enrayer en plafonnant les rémunérations de ces médecins "mercenaires".
Les économies dégagées serviront ainsi à financer la quasi-intégralité du plan de Marisol Touraine, qu'elle évalue pour l'heure à 250 millions d'euros sur cinq ans, avec seulement "quelques dizaines de millions d'euros" restant à la charge des hôpitaux.
Dès 2016, une "prime d'engagement", de "plusieurs mois de salaire", sera instaurée pour les "jeunes qui font le choix de prendre un poste dans un secteur sous-doté ou dans une spécialité" en sous-effectif, a expliqué la ministre, qui vise 3 000 bénéficiaires d'ici à fin 2018. Ces derniers profiteront également d'une "accélération de carrière" de deux ans au bout de cinq ans, soit sept ans d'ancienneté au lieu de cinq.
"Sans médecin, pas d'hôpital"
Les couvertures maladie et maternité en début de carrière seront améliorées, les droits d'exercice homogénéisés. Par exemple, les jeunes femmes, qui représentent plus de 60 % des nouveaux recrutements, auront leur revenu assuré pendant les périodes de congé maternité, comme c’est le cas pour les titulaires.
En résulte "un ensemble cohérent de mesures attendues et nécessaires" salué, dans un communiqué, par les principaux syndicats d'internes et d'étudiants en médecine. Mais attirer les jeunes, qui aspirent à un temps de travail mieux maîtrisé, ne suffit pas. Encore faut-il qu'ils aient envie, comme leurs aînés, de rester à l'hôpital public, et de participer à des projets territoriaux.
C'est dans cette optique que sera définie une "prime d'exercice territorial" pour les 15 000 praticiens hospitaliers (PH) qui travailleront sur plusieurs sites, dans le cadre des groupements hospitaliers de territoires (GHT) prévus dans la loi santé. De même, la participation à un "pool de praticiens remplaçants" donnera droit à une compensation.
Les médecins pourront prolonger leur activité jusqu'à 70 ans ans et le cumul emploi-retraite jusqu'à 72 ans. Les missions seront diversifiées (recherche, enseignement) et reconnues dans le temps de travail, comme le temps passé sur certaines activités médicales débordant sur la soirée.
Les hôpitaux devront enfin développer des initiatives sociales pour les médecins, comme l'accès aux crèches jusqu'à alors réservé aux paramédicaux. Le rapport Le Menn avait suscité de nombreux espoirs chez les syndicats de praticiens hospitaliers. "Globalement satisfaits", selon Nicole Smolski, la présidente d'Avenir Hospitalier, ils regrettent toutefois que les revalorisations ne concernent que certaines zones, et l'absence d'un redécoupage de leur temps de travail.
Le délégué général de la Fédération hospitalière de France (FHF), Gérard Vincent, s'est aussi dit "globalement satisfait" de ce plan, même s'il augure de nouveaux efforts des hôpitaux. "Sans médecin, il n'y pas d'hôpital", rappelle-t-il.