Tout juste nommé par le gouvernement à la tête du nouveau Commissariat général à la stratégie et à la prospective, l'économiste Jean Pisani-Ferry estime, dans un entretien accordé jeudi à l'AFP, que l'Europe a "fait l'erreur de tout miser sur la réduction des déficits publics".
Cet ancien conseiller des socialistes Dominique Strauss-Kahn à Bercy et Lionel Jospin à Matignon vient de quitter la direction du cercle de réflexion européen Bruegel. Il annonce aussi avoir démissionné du Haut Conseil des Finances publiques, un organisme indépendant adossé à la Cour des comptes qui vient de rendre son premier avis sur les prévisions économiques du gouvernement.
QUESTION: Comment interprétez-vous votre nomination?
REPONSE: "Le fait d'avoir choisi quelqu'un issu du monde des +think tank+, d'un milieu européen, d'une institution qui a sa liberté de parole et son indépendance, cela démontre, de la part du Premier ministre, une volonté d'ouverture et de débat, le souci d'un regard neuf.
Aussitôt nommé, j'ai démissionné du Haut Conseil des Finances publiques pour qu'il n'y ait pas le moindre soupçon. Le Haut Conseil est une institution dont on comprendra vite qu'elle est indispensable à la crédibilité de la politique budgétaire. Mais elle est encore très jeune. Je ne pense pas une seconde que ma présence aurait nui à son indépendance mais je n'ai pas voulu lui faire courir le risque de la controverse."
Q: Quelle sera la mission du nouveau commissariat, qui remplace le Centre d'analyse stratégique?
R: "La structure reprend le Conseil d'analyse stratégique. Quant aux missions, il y a une double volonté. D'abord d'avoir une relation plus forte avec la décision publique, donc d'éclairer les choix publics, de se porter sur des sujets plus centraux et plus stratégiques. D'autre part, il y a une volonté d'impliquer les partenaires sociaux, la société civile, donc d'avoir une fonction renforcée de concertation et de débat public. Ce sont deux missions complémentaires: plus le gouvernement compte sur cette institution, plus les partenaires extérieurs la prennent au sérieux, et plus le débat implique les différents acteurs plus il est intéressant pour le gouvernement."
Q: Quelle est votre position dans le débat actuel entre croissance et austérité?
R: "Une remarque d'abord: c'est typiquement dans une situation d'interrogation sur la voie à prendre qu'une institution comme la nôtre est utile. Nous devrons regarder un peu plus loin que les dirigeants qui sont dans l'action immédiate. Pour que les politiques puissent, lorsque c'est nécessaire, être infléchies ou changées, il faut le préparer par des réflexions mûries à froid plutôt que dans le feu de l'action. La réflexion doit avoir un temps d'avance.
Ma position personnelle, qui à ce stade repose sur les travaux de Bruegel plutôt que sur ceux du commissariat, est claire: l'Europe a fait l'erreur de tout miser sur la réduction des déficits publics et de croire que donner un coup de collier à l'ajustement budgétaire sans avoir auparavant réglé les problèmes de l'économie privée lui permettrait de se sortir des difficultés. Le sérieux budgétaire est indispensable, il ne faut surtout pas l'abandonner. Mais c'est une oeuvre de longue haleine. Parallèlement, il faut améliorer, à l'échelle européenne, les conditions du financement bancaire, poursuivre le désendettement privé. Bref, créer les conditions de la croissance. Comme ces conditions n'étaient pas remplies, le coup de collier budgétaire n'a pas donné le résultat attendu, au contraire, comme l'économie était faible et les taux d'intérêt déjà près de zéro, la consolidation budgétaire a eu des effets négatifs sur la croissance beaucoup plus importants que prévu."
Propos recueillis par Francesco FONTEMAGGI.