La série «Peaky Blinders», qui s'apprête à faire son retour sur Netflix avec sa 6e et dernière saison, a été inspirée par un authentique gang ayant comme elle sévi à Birmingham. Mais à quel point la série est-elle fidèle aux criminels dont elle tire son nom ?
Même look, même terrain de jeu. La sixième, et ultime saison de «Peaky Blinders» arrive ce 10 juin en France sur Netflix. Avant que les aventures de Thomas Shelby et ses potes tirés à quatre épingles ne se ponctuent ensuite avec un long-métrage, dont le tournage commencera en 2023, retour sur la genèse de la mythique série, qui a été inspirée d’une histoire (en partie) vraie.
La série de Steven Knight met en vedette Cillian Murphy dans le rôle du chef de la mafia de Birmingham Tommy Shelby, qui après avoir été traumatisé de ses expériences dans les tranchées de la France pendant la Première Guerre mondiale, revient au pays pour y diriger l'empire criminel familial implanté à Birmingham dans les années 1920-1930.
Les Peaky Blinders originaux ont en réalité prospéré dans les années 1890, soit environ 30 ans plus tôt que la période dépeinte dans la série. Ils étaient généralement composés d'hommes de la classe ouvrière impliqués dans des petits jeux de hasard, de vols et des rackets. Les archives de police, qui les ont parfois arrêtés pour de simples vols de vélos, révèlent quelques-unes des identités de ses membres dont Harry Fowler, Ernest Bayles, Stephen McHickie et Thomas Gilbert, qui ont été des sources directes d'inspiration pour le créateur de la série. Un certain nombre d'entre eux ont d'ailleurs, comme Thomas Shelby, eu à combattre pendant la Première Guerre mondiale.
© Youtube History West Midlands
Les gangs étaient à cette époque pour les hommes et les femmes un moyen d'échapper à l'extrême pauvreté. Dans les années 1860 et 1870, l'idée était de défendre un territoire, mais dans les années 1880 et 1890, ils ont évolué pour gagner toujours plus d'argent grâce aux rackets et aux jeux.
Le 21 juillet 1989, une lettre envoyée anonymement au Birmingham Daily Mail se plaignait : «Sûrement tous les citoyens respectables et respectueux des lois en ont assez du nom même de voyous à Birmingham et des agressions contre la police. Quelle que soit la partie de la ville où l'on se promène, on peut voir des gangs de «peaky blinders», qui souvent n'hésitent pas à insulter grossièrement les passants, qu'il s'agisse d'un homme, d'une femme ou d'un enfant».
Comme les Sloggers sur qui ils ont eu l'ascendant - une organisation dirigée par John Adrian et James Grinrod qui menaçait ses victimes à coups de boucles de ceinture - agressions, passages à tabac, coups de couteau, strangulations… Les Blinders jouissaient d'une réputation de violence de rue extrême.
Un surnom très «pimpant»
L'histoire qui voudrait que le gang tienne son nom parce que ses membres cachaient des lames de rasoir dans leur casquette pour s’en servir comme arme n’est en revanche pas la plus plausible, la société Gillette n’ayant commencé à produire des lames jetables en quantité industrielle en Angleterre qu’à partir de 1908. La légende qui voudrait que les Peaky Blinders coupent le front de leurs adversaires pour que leur sang les aveugle serait quant à elle totalement romancée, et issue d’un roman de John Douglas paru en 1977.
Interrogé dans un documentaire de la BBC, l'historien de Birmingham Carl Chinn pense en fait que le nom Peaky Blinders est une référence à l'élégance vestimentaire du gang, dont la tenue était constituée de vestes sur mesure, de pardessus à revers, de gilets boutonnés, de foulards en soie, de pantalons à pattes d'éléphant, de bottes en cuir et de casquettes plates à visière. Il explique que le mot «peaky» faisait à l'époque référence à un type particulier de casquette plate, et que «blinder» était un terme d'argot de Birmingham (encore utilisé aujourd'hui) pour décrire quelque chose ou quelqu'un d'apparence pimpante. Une apparence que les personnages de la série cultivent eux aussi.
Un autre historien, Philip Gooderson, écrit dans The Gangs of Birmingham (2010) que les petites amies des membres étaient elles aussi connues pour leurs tenues vestimentaires. Une particularité confirmé dans le documentaire The Real Peaky Blinders, diffusé sur la BBC.
Les «Peaky Blinders» ont eu l'ascendant pendant près de 20 ans jusqu'en 1910, lorsqu'un gang plus important, les Birmingham Boys, les a surclassés. Le chef de ces derniers était un certain Billy Kimber. Ce nom n'est pas inconnu aux fans de la série. Et pour cause, Steven Knight l’a utilisé pour le personnages joué par Charlie Creed-Miles (personnage dont la destinée dans la série n’a rien à voir avec celle que le vrai Billy Kimber a eue).
Le gang de Birmingham sera à son tour suplanté dans les années 1930 par la bande de Charles Sabini. Quant à savoir qui a inspiré le personnage de Tommy Shelby joué par Cillian Murphy dans la série, il s’agirait de Sam Sheldon. Un puissant gangster qui a sévi dans les années 1880. «Le redoutable chef du célèbre gang de la famille Sheldon a été impliqué dans des émeutes, des passages à tabac brutaux, des fusillades et la ‘pire guerre de gangs de l'histoire de la ville’», est-il rapporté dans le Daily Mail. Et contrairement à Tommy Shelby, il ne cultivait pas d'ambition politique.
La mythologie d'un gang
Si les Peaky Blinders n’auront finalement pas régné longtemps, comme l’historien Chinn l’a expliqué dans The Real Peaky Blinders (2014), «leur mauvaise renommée et leur nom sinistre imprégné de violence et de gangstérisme a fait qu'ils n’auront jamais été oubliés.» «Peaky Blinders» est d'ailleurs devenu une expression argotique pour désigner tout gang de rue à Birmingham...
En six saisons, la série éponyme saluée par la critique aura perpétué leur légende en y insufflant une touche de glamour «qu’ils n’avaient pas du tout», précise bien l’historien Carl Chinn.
Interrogé sur son inspiration par la BBC en 2016, le créateur Steven Knight a cité sa propre famille, dont une branche comprend les Sheldon, une dynastie de bookmakers. «L'une des histoires qui m'a vraiment donné envie d'écrire 'Peaky Blinders' est celle que mon père m'a racontée», a-t-il déclaré. «Son père lui a un jour donné un message et lui a dit : 'Va et remets ça à tes oncles'... Mon père a frappé à la porte. Il était terrifié. Il est entré et il m'a dit qu'à l'intérieur, il y avait huit hommes, impeccablement vêtus, avec des fusils dans les poches, une table couverte de pièces de monnaie dans un endroit où personne n'avait d'argent et où les hommes buvaient tous de la bière et du whisky dans des pots de confiture». «La table était couverte d'argent. Juste cette image - la fumée, l'alcool et ces hommes impeccablement habillés dans ce bidonville de Birmingham - j'ai pensé, c'est la mythologie, c'est l'histoire, et c'est la première image avec laquelle j'ai commencé à travailler.»