Alors que la journée «Non au harcèlement» se tiendra ce 18 novembre, Canal+ diffusera le documentaire «À bonne école, les enfants contre le harcèlement», pour évoquer les solutions possibles. La réalisatrice Chloé Garrel a accepté de répondre à nos questions sur ce sujet particulièrement sensible.
Inès Reg accompagne six collégiens à la découverte de nouvelles méthodes de sensibilisation au harcèlement scolaire.
À bonne école, seulement sur @canalplus pic.twitter.com/UPVjdBgjDV— CANAL+ Docs (@CanalplusDocs) September 26, 2021
Votre documentaire «À bonne école» propose des méthodes pour répondre au harcèlement scolaire. Pourquoi est-ce si difficile d’enrayer ce phénomène ?
Parce que nous sommes face à un phénomène sournois. Quand on est harcelé, c’est difficile à prouver. C’est souvent dû à des chamailleries d’enfants, et nous, en tant qu’adulte, nous allons juger que ce sont des jeux d’enfants, qu’ils s’amusent, et que parfois, ça dérape. Le harcèlement a tendance à se fondre dans la masse. Ceux qui le subissent n’arrivent pas toujours à l’identifier eux-mêmes. Et après, on peut avoir honte en tant que victime. On peut craindre les représailles, de faire de la peine à ses parents, etc. C’est ce qu’Inès Reg, marraine du documentaire, raconte dans le film. Il faut libérer la parole !
Les enseignants ne le voient pas forcément car ils ont beaucoup de choses à gérer, entre la discipline et les cours. Ils n’ont pas non plus de formation les aidant à détecter le harcèlement. Celui-ci peut être très insidieux, très discret, très pervers. Et il se produit dans des temps – récréation, toilettes, sortie de l’école… – qui échappent aux professeurs.
Le cyberharcèlement complique encore plus la tâche. Même si dans ce dernier cas, il est possible de faire des captures d’écran permettant de prouver le harcèlement. Mais autrement, cela peut être très compliqué de le prouver.
Mais cela est en train de changer car le mot harcèlement existe et n’est plus, du moins ne doit plus, être tabou ! Depuis 2015, il existe la journée mondiale de lutte contre le harcèlement à l’école. Depuis 2019, la loi pour une École de la confiance prévoit le droit à une scolarité sans harcèlement dans le code de l’éducation. De manière générale, la violence scolaire a été trop longtemps ignorée et demeure encore un sujet méconnu.
Beaucoup de témoignages de victimes et de leurs familles dénoncent le «laisser faire» ou le manque d’implication du corps enseignant, ou des responsables d’établissement scolaire. Pourquoi ce problème est souvent pointé du doigt et comment y remédier ?
Il ne faut pas attendre qu’il soit trop tard ! Il faut agir avant que le harcèlement ne se produise pour éviter des suicides d’adolescents. Selon l’association «Hugo», 18 enfants se seraient donnés la mort depuis le début de l’année…
L’accent doit absolument être mis sur la prévention du harcèlement à l’école. Cette prévention passe par une amélioration du climat scolaire et l’apprentissage de la notion d’empathie. Malheureusement en France, quand on parle de cela, des gens disent que c’est «le monde des bisounours» et que ça ne marche pas. Mais en fait si, cela fonctionne. Vous le découvrirez dans le documentaire à travers la réalité virtuelle, ou les cours de gentillesse de Nora Fraisse. C’est juste que cela exige un changement de mentalité. Et en France, on est rapide à crier à la démagogie.
Dans les pays scandinaves, ils ont réussi à quasiment enrayer le harcèlement en mettant en place, depuis plus de dix ans, des programmes fondés sur la prévention et le travail des émotions. En Suède par exemple, c’est tolérance zéro contre le harcèlement scolaire. Chaque école a pour obligation de mettre en place un plan de prévention et de réagir à la moindre violence physique ou verbale entre les élèves.
En France, nous avons toujours fait passer la transmission des savoirs avant le bien-être de l’élève. Sauf que, quand l’élève n’est pas bien dans son environnement, il ne peut pas bien apprendre.
C’est un changement profond des mentalités, de société qui est nécessaire afin que les gens puissent comprendre que prévenir le harcèlement est possible. Il y a plusieurs aspects à prendre en considération, évidemment. Mais tout commence par ça. Les professeurs doivent être formés à la détection du phénomène. Il faut marteler ce discours, et ça va prendre du temps car nous avons pris du retard par rapport aux autres pays européens. La cause a été pris à bras le corps par Jean-Michel Blanquer, et depuis cette année, le ministère de l’éducation nationale a mis en place dans six académies tests le programme «Phare» qui est un plan de prévention du harcèlement à destination des écoles et des collèges, et qui intègre la notion de climat scolaire et comprend la formation d’une communauté protectrice de professionnels et de personnels pour les élèves.
Quand l'élève n'est pas bien dans son environnement, il ne peut pas apprendre
Les réseaux sociaux ont largement contribué à amplifier le harcèlement. Un travail de sensibilisation des enfants, des parents et du personnel scolaire sur l’utilisation d’Internet et des applications n’est-il pas nécessaire ?
Les parents des collégiens d’aujourd’hui n’ont pas grandi avec des smartphones dans la main. Moi j’ai 30 ans, j’ai eu mon premier téléphone à l’âge de 13 ans, et cela me permettra peut-être d’être plus consciente de ce qui se passe quand je deviendrai parent. Là où la génération de mes parents n’est pas forcément au fait de ce que cela implique d’être «connecté» et de l’étendu de ce qu’on peut faire avec un téléphone.
L’association E-enfance, qui apparaît dans le documentaire, intervient dans les écoles justement pour donner des cours aux enfants et leur apprendre à bien gérer l’usage d’Internet. Les enfants ont toujours connu les smartphones, et estiment ne pas avoir besoin qu’on leur apprenne à utiliser Internet. Mais c’est important de savoir qu’il est possible de bloquer de manière anonyme les personnes quand on est harcelé. Des formations existent.
Certains souhaitent faire du harcèlement scolaire un délit. Avec l’idée de créer un accompagnement pour les victimes, mais aussi des obligations pour les agresseurs. Est-ce une bonne solution ?
Le harcèlement, de manière générale, est déjà considéré par la loi comme étant un délit (Article 222-33-2-2). Cependant, la loi ne prévoit pas le cas du harcèlement «scolaire». Cette revendication a donc plus une valeur émotionnelle que légale qui permettrait d’ancrer le harcèlement dans le concret et le réel. Il y aurait ainsi un délit de harcèlement «scolaire». Ce serait fort et je suis pour. On ne va pas à l’école pour souffrir mais pour apprendre.
À bonne école, les enfants contre le harcèlement : jeudi 18 novembre à 20H sur CANAL+kids et déjà disponible sur myCANAL