Quatre ans après le polémique «Soumission», Michel Houellebecq publie «Sérotonine» (éd. Flammarion), un septième roman sur l’amour, intimiste et bouleversant, qui plonge le lecteur au cœur de la France rurale et plus largement, de la décadence du monde occidental.
Un narrateur typiquement Houellebecquien
Porté par un sentiment de résignation et de nostalgie, «Sérotonine», raconte l’histoire de Florent-Claude Labrouste, un ingénieur agronome de 46 ans employé au Ministère de l’Agriculture, qui a raté sa vie professionnelle, sociale et amoureuse. Il boit et fume beaucoup, ne trie pas ses déchets («je sabotais systématiquement le programme de tri sélectif en balançant les bouteilles de vin vides dans la poubelle réservée aux papiers et emballages»), et déteste son prénom.
«Florent est trop doux, trop proche du féminin de Florence, en un sens presque androgyne. Il ne correspond nullement à mon visage aux traits énergiques, sous certains angles brutaux, qui a souvent (par certaines femmes en tout cas) été considéré comme viril, mais pas du tout, vraiment pas du tout, comme le visage d’une pédale botticellienne.»
Une quête du bonheur et des amours perdues
Pour se libérer de sa dernière relation, aussi toxique que malsaine, avec Yuzu, une japonaise perverse «aux aptitudes de pute ordinaire», Florent quitte définitivement son trois pièces de la tour Totem dans le quartier de Beaugrenelle, avec comme seule préoccupation de trouver un hôtel qui accepte les fumeurs.
Dépressif, il se fait alors prescrire du Captorix, un médicament qui augmente la sécrétion de sérotonine, «une hormone liée à l’estime de soi», mais qui rend sexuellement impuissant. Après s’être installé dans un hôtel Mercure du 13e arrondissement, cet anti-héros entame un retour dans le passé où il fait l’inventaire, entre romantisme et pornographie, de ses anciennes conquêtes - Claire, Kate, Tam, ou encore Camille, - une étudiante vétérinaire avec qui il aurait pu être heureux si une stupide histoire d’infidélité n’avait pas tout gâché.
Une radiographie de la société
Puis il entame un road-trip en Normandie où il y découvre un territoire à l’abandon et des éleveurs accablés par la mondialisation, au bord du suicide. En défenseur de la France rurale, le narrateur met en cause l'Union européenne et la modernité. Celle qui a détruit sa vie sentimentale, mais aussi le monde paysan, et le pays tout entier.
Avec son seul véritable ami Aymeric, un éleveur ruiné, il va ainsi tenter de lutter contre les directives européennes sur la baisse du prix du lait et la suppression des quotas. Petit-à-petit, leurs revendications prennent forme, jusqu’au blocage de l’autoroute A13 Caen-Paris qui finira par une violente confrontation entre CRS et producteurs laitiers. Bilan de la manifestation, dix agriculteurs tués, et un CRS.
«Les autres agriculteurs avaient saisi leurs fusils et s’étaient avancés au-devant d’Aymeric, braquant eux-aussi leurs armes ; mais ils n’avaient que des fusils de chasse, et les CRS comprenaient évidemment que le Schmeisser d’Aymeric, calibré en 223, était le seul à pouvoir fracturer leurs boucliers, transpercer leurs gilets pare-balles.»
Des Hollandais, aux bobos parisiens, en passant par le livre de Christine Angot, (dont il a lu les cinq premières pages), la SNCF, la ville de Niort, et les écoles de commerces, Houellebecq, fidèle à son style, n’épargne rien ni personne, tout en abordant des thèmes qui lui sont chers, comme la géographie, le tourisme, la gastronomie, la solitude, et Dieu, sur lequel il achève son ouvrage.
Avec une écriture dense mais fluide, rythmée par des envolées lyriques qui rappellent celles des grands écrivains du XIXe siècle, le Goncourt 2010 pour «La carte et le territoire», signe un roman de haute-volée, qui une fois encore, fait écho à l’actualité, marquée par de vives tensions sociales.
Michel Houellebecq, Sérotonine, éd. Flammarion.