Spotify a annoncé jeudi retirer de ses playlists les chansons de l'artiste américain R. Kelly, après un appel du mouvement Time's Up à «couper les ponts» avec le chanteur accusé d'abus sexuels depuis plusieurs années, une première dans le monde de la musique en ligne.
Selon le New York Times, le groupe suédois aurait pris les mêmes mesures pour le rappeur américain XXXTentacion, déjà condamné pour agression et en attente d'un procès notamment pour agression aggravée d'une femme enceinte.
Sollicité par l'AFP au sujet de XXXTentacion, Spotify n'a pas donné suite.
En août 2017, Spotify avait écarté de son service une vingtaine de groupes qualifiés de «haineux», lié au mouvement suprémaciste blanc ou aux néo-nazis, une décision similaire à celle prise par la plateforme iTunes d'Apple en 2014.
Mais la nouvelle charte de Spotify publiée jeudi étend désormais le champ d'action à la vie privée des artistes, au-delà de leur oeuvre.
«Lorsqu'un artiste ou un créateur fait quelque chose de particulièrement nocif ou haineux (par exemple, de la violence envers les enfants ou de la violence sexuelle), cela peut changer la façon dont nous travaillons avec lui ou dont nous le soutenons», explique la plateforme suédoise.
Spotify se défend pourtant de «censurer du contenu en raison de la conduite d'un artiste ou d'un créateur. Mais nous voulons que nos décisions éditoriales - ce que nous choisissons de programmer - reflète nos valeurs.»
La société suédoise, cotée depuis début avril, a refusé de préciser si elle étudiait le cas d'autres artistes susceptibles de faire l'objet des mêmes mesures.
Concrètement, il sera encore possible d'accéder aux titres de R. Kelly, mais ils n'apparaîtront plus dans les playlists générées par la plateforme, ni dans les propositions faites par Spotify aux utilisateurs sur la base d'algorithmes.
Un tournant ?
R. Kelly, de son vrai nom Robert Sylvester Kelly, est accusé depuis plusieurs années d'abus sexuels, même s'il n'a jamais été condamné.
Le chanteur et producteur de 51 ans, auteur du hit «I believe I can fly», avait été inculpé pour pornographie sur mineurs en 2002, mais finalement acquitté en 2008.
Selon une enquête publiée en juillet 2017 par le site d'informations Buzzfeed, le chanteur a aussi été accusé d'avoir des quasi-esclaves sexuelles à ses domiciles de Chicago et Atlanta, même si les allégations, démenties par le chanteur, n'ont débouché sur aucune inculpation.
Une plainte a par ailleurs été récemment déposée contre lui auprès de la police de Dallas par une femme qui affirme qu'il l'a infectée d'une maladie sexuellement transmissible sans l'avoir prévenue qu'il en était porteur. Une enquête a été ouverte en avril.
Fin avril, le mouvement Time's Up avait réclamé que des «enquêtes appropriées» soient menées sur toutes ces accusations.
L'organisation née de l'affaire Weinstein a également appelé tous les grands acteurs de l'industrie musicale à rallier le mouvement #MuteRKelly («Faites taire R. Kelly») sur les réseaux sociaux, pas uniquement Spotify. Elle a demandé à plusieurs acteurs de l'industrie musicale de «couper les ponts» avec le chanteur.
La décision de Spotify «pourrait faire date culturellement», estime Larry S. Miller, professionnel du monde de la musique et professeur à l'université NYU Steinhardt.
«Il ne fait aucun doute que les playlists de Spotify (...) sont plus influentes et plus écoutées que n'importe quelle station de radio dans le monde», dit-il. «Ce n'est pas exagéré de dire que cela va avoir un effet significatif sur l'audience» de l'artiste.
«Caprices des réseaux sociaux»
«R. Kelly n'a jamais été accusé de haine et ses textes expriment l'amour et le désir», a réagi l'équipe du chanteur dans une déclaration à plusieurs médias américains.
L'entourage de R. Kelly a également rappelé que Spotify «faisait la promotion d'autres artistes» condamnés par la justice, arrêtés pour violence conjugale ou qui «chantent des textes violents et hostiles aux femmes par nature», ce qui n'est pas le cas du chanteur originaire de Chicago.
Ses proches ont également accusé Spotify d'agir «sur la base d'allégations fausses et non établies», de «se plier aux caprices des réseaux sociaux» et de «choisir son camp» dans une affaire «qui n'a rien à voir avec le service aux consommateurs».
Sollicitée jeudi, sa maison de disque, RCA (filiale de Sony Music), n'a pas donné suite.
«Qui sait ce qui se passera quand un autre artiste sera vilipendé publiquement pour son comportement sans qu'il soit question de sa musique ?», se demande Larry Miller.