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Philharmonie de Paris : de Schubert à Chopin, le pianiste Ivo Pogorelich colore le romantisme le 12 novembre prochain

Un an après, le pianiste est de retour à la Philharmonie [© LIONEL BONAVENTURE / AFP]

Le croate Ivo Pogorelich, légende du piano dont le jeu ne laisse personne indifférent, sera de retour à la Philharmonie de Paris, mardi 12 novembre. Une occasion rare d'écouter le maestro interpréter comme nul autre les oeuvres de son compositeur de coeur, Frédéric Chopin, mais aussi de Schubert et Sibélius.

Il est de la trempe des géants du piano. Depuis près d'un demi-siècle, le croate Ivo Pogorelich fait de sa carrière un événement. Que ce soit durant cette décennie 1980, qui l'a vu devenir une star internationale et l'égal des plus grands, quand Martha Argerich claquait la porte du concours Chopin de Varsovie en criant au génie, alors que le jeune homme était éliminé pour son jeu brisant les conventions. Ou lors de son long silence, en studio comme sur scène, suite au décès en 1996 de son épouse, qui fut aussi son professeur. Puis, il y a deux ans, le légendaire pianiste a retrouvé son compositeur favori, Frédéric Chopin (1810-1849), pour son premier disque depuis vingt ans. Ont suivi de nombreux concerts, comme celui de la Philharmonie de Paris il y a tout juste un an, qui constituait une première pour l'artiste. Mardi 12 novembre, le public va de nouveau pouvoir profiter de la sensibilité de ce grand héritier des traditions pianistiques européennes, toujours dans la grande salle de l'enceinte parisienne. Nous avions pu le rencontrer lors de son premier passage, une occasion rare de l'entendre parler de son art, entre exigence et hommage aux grands compositeurs.  

Vous dites souvent qu’«un enregistrement n’est utile que si c’est un document». En quoi votre dernier disque Chopin chez Sony représente ce «document» ? Une étape qui vient clore une longue période de silence, ou au contraire, le signe d’une nouvelle étape dans votre jeu ?

Il y a des œuvres, comme la sonate n°3 de Chopin, que j’ai déjà joué quand j’avais 16 ans. Il y a donc un demi-siècle de cela. Durant cette très longue période, j’ai eu de nombreuses opportunités de jouer ces pièces dans différents cadres, concerts, festivals… à travers le monde. L’évolution du travail fait qu’à un moment, l’artiste sent que son approche d’une œuvre est arrivée à maturité, et le rend capable d’offrir sa contribution personnelle à l’œuvre. Il peut reconsidérer la valeur de cette musique à l’aune de sa propre expérience.

Vous avez beaucoup joué Beethoven ou Schubert, mais on vous connait surtout comme spécialiste de Chopin. Pourquoi vous sentez-vous proche de ce compositeur ?

Beethoven (1770-1827) est la fondation de la culture pianistique à laquelle j’appartiens. Si vous regardez en arrière, je suis le 7eme derrière Beethoven, et le 5eme après Franz Liszt 1811-1886), dans la ligne de succession directe de cette tradition pianistique. Pour Chopin, c’est différent, il n’appartient pas à cette école. Il avait juste du talent, un talent grandiose. Il était unique dans le sens ou la plupart des œuvres qu’il a été amené à jouer était ses propres inventions. C’était quelqu’un de très créatif, de révolutionnaire dans sa façon de jouer du piano. Il a ouvert de nombreux horizons, apporté des sonorités inédites, notamment sa façon très sophistiquée d’utiliser les pédales par exemple.

Chopin était révolutionnaire, il a ouvert de nouveaux horizons.

Mais ma première impression concernant Chopin concerne avant tout sa personnalité. C’est quelqu’un qui est un héros, un leader, une personne très courageuse. Son courage est de s’adresser à son propre cœur, sa propre âme, dans une liberté absolue, de le retranscrire dans sa musique, et de l'offrir sans concession au public. En cela, s’il y a beaucoup d’aspects dramatiques ou tragiques dans ses œuvres, il y a aussi des aspects très intimes et très introspectifs qui résonnent chez moi.

Vous allez jouer dans le cadre des Pianos 4 étoiles, à la Philharmonie de Paris, un programme proche de celui de votre dernier disque. Pour vous, ce sont malgré tout deux choses bien distinctes ?

Ce sont deux disciplines différentes. Le concert, c’est l’art du moment. Écouter un récital, c’est un moment dans la vie qui passe. Vous commencez à vous émerveiller, mais la fin est déjà proche. Mon rôle est de servir le compositeur. Partant de là, quand je jour en concert, je ne fais que transmettre les valeurs qui se trouvent dans la musique du compositeur au public. Pour l’enregistrement, c’est différent. Au contraire, on est dans l’accumulation d’expérience, car ce disque deviendra un document. Le processus de préparation doit aussi permettre d’atteindre à l’objectivité dans ce que vous allez enregistrer, qui n’est possible que grâce à ces innombrables fois ou vous avez joué et répété, jusqu’à enlever toute subjectivité à votre jeu pour n'y laisser que les certitudes.

Le piano est-il, comme le disait Franz Liszt, le roi des instruments ? En quoi représente-t-il la quintessence des instruments de musique classique ?

En effet, pour Franz Liszt, il était le roi des instruments. Mais plus tôt, déjà, Beethoven s’attendait à ce que le piano soit capable de remplacer un jour l’orchestre. Mais aussi, dans le même temps, de pouvoir le faire sonner comme la voix humaine.

Le piano est autant un instrument vocal qu'orchestral.

Vous pouvez l’entendre dans ses compositions, surtout ses sonates. Les seconds mouvements sont toujours semblables à des Arias italiens, où le piano doit jouer le rôle d’un chanteur, et être capable de produire une mélodie comme si elle était jouée par un chanteur. Donc, en ce sens, le piano est autant un instrument vocal qu’orchestral.

Selon vous, à notre époque, un compositeur pourrait-il, comme Chopin ou d’autres en leur temps, révolutionner l’art du piano ?

J’avoue que pour le XXIe siècle, je n’ai pas assez d’exemples personnels pour me lancer dans le débat, faute de ne pouvoir aller aux concerts de musique contemporaine autant que je le voudrais. Mais au cours du XXe siècle, il y a des compositeurs qui ont apportés de formidables contributions à l’héritage du piano. Vous pouvez dire que Ravel par exemple était le Mozart du XXe siècle, et Prokofiev le Beethoven du XXeme siècle.

Avez-vous une méthode mentale pour entrer dans l’œuvre d’un compositeur, comme un acteur pourrait le faire pour un rôle ?

Il y a deux ponts entre un compositeur et un interprète. L’un est la musique, la partition. L’autre est l’instrument. Il faut se dédier à l’étude des deux. Il faut lire le texte, la musique, se familiariser avec le piano, mais surtout essayer d’extraire de soi-même tout ce qu’on ressent par instinct, ou qui pourrait venir de notre propre éducation.

On vous considère comme un des meilleurs exemples de ce qu’est la liberté de l’interprète, l’autonomie de l’artiste. Désormais, l’intelligence artificielle vient remettre en question l’authenticité et l’originalité de la création. Quel regard portez-vous sur cette technologie ?

Je répondrai tout simplement à cette question le jour où quelqu’un viendra me prouver que l’intelligence artificielle peut tomber amoureuse ! Avant cela, j’ai très peu de choses à dire sur le sujet. Il faut par contre s’interroger sur le devenir de l’humanité. L’humain délègue de plus en plus à la technologie. Mais je me demande ce que cette technologie nous délèguera de son côté.

Votre histoire est marquée à jamais par ce fameux concours de Varsovie, en 1980, durant lequel Martha Argerich vous a soutenue alors qu’une partie du jury souhaitait vous éliminer, et qui a contribué à votre aura dans le monde. Votre carrière aurait-elle été différente si vous n’y aviez pas participé ?

C’est un épisode dans ma vie. Mais c’est aussi quelque chose qui appartient à une époque, qui est inscrit dans une histoire, des événements et des personnalités bien particulières, dans un contexte de guerre froide. Tous les éléments de cette époque ont joué un rôle.

Ce concours m’a apporté beaucoup de choses non désirées. La première d’entre elle est que cela m’a fait entrer immédiatement dans une carrière internationale. À l'âge de 24 ans, je pense que je n'étais pas prêt. Je devais prouver à tout le monde que j’étais bon ! Et je ne pouvais le faire qu’en jouant des concerts. Je n’ai plus vraiment eu d’autres choix.

Si vous deviez donner un conseil à un jeune pianiste qui débute ?

Si je devais en donner un, ce serait tout simplement de trouver un bon professeur, et de le respecter. Le plus simple, mais le plus difficile à suivre des conseils que je peux donner à n’importe qui.

Quel sentiment retire-t-on selon vous en écoutant tous ces compositeurs, qu’on ne peut avoir avec un autre art, comme la littérature ou le cinéma ?

La musique offre-t-elle quelque chose de différent ? Absolument ! La musique n’a pas besoin de traduction. Vous pouvez aller en Asie, en Amérique du Sud, la musique reste la même. C’est un langage qui peut être compris par tous, et en ce sens, il est moins limité que d’autres arts.

Récital Chopin, Schubert, Sibélius, Ivo Pogorelich, mardi 12 novembre, 20h, Philharmonie de Paris (19e). En tournée en France dès le 13 novembre à Bourges, Angoulême (14/11), Marseille (18/11), Bordeaux 20/11).

 

 

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