Le violoniste Renaud Capuçon sera en concert à l'Olympia le dimanche 10 mars, pour interpréter les plus grandes musiques de films de compositeurs français, issues de son nouvel album «Les choses de la vie : cinéma 2», chez Warner. Une belle occasion de se pencher sur son amour pour ce répertoire, représenté avec succès dans l'Hexagone.
Votre nouvel album, «Les choses de la vie : cinéma 2», est consacré aux musiques de films composées par des Français, qui sont très nombreux. Comment expliquez-vous ce succès et cette longue histoire, parfois mieux reconnue à l'étranger ?
Un des points communs qu’ils ont tous est l’élégance de leurs compositions. Une élégance qui existe d’ailleurs tout autant chez Ravel ou Debussy, avant l'apparition du cinéma. Et pour le succès à l’étranger, j’ai juste envie de dire que c’est parce qu’ils sont bons ! Mais c’est vrai qu’il y a une grande tradition. Il ne faut pas oublier, pour bien comprendre ce succès, qu’il remonte aux origines du cinéma. C’est en effet Camille Saint-Saëns qui, en 1908, a, le premier, composé une musique pour illustrer un film : «L'assassinat du Duc de Guise».
C’est la toute première musique de film. Et ses successeurs sont nombreux : les succès de Maurice Jarre, qui était une énorme star oscarisée, Alexandre Desplat, le compositeur phare actuellement adulé aux Etats-unis... Il y a un tropisme au cinéma pour les compositeurs français. J’avais donc envie de leur rendre hommage, à travers les grands thèmes comme Laurence d'Arabie, La forme de l'eau, ou encore Love Story. Quand on regarde par exemple la carrière de Georges Delerue, qu’on a un peu oublié, et la liste de musiques de films qu'il a composées, une centaine dont on connait la plupart des titres, c'est impressionnant.
Vous parlez de tradition, de fil conducteur... Les compositeurs de musique classique étaient naturellement voués à devenir compositeur de musique de film ?
En effet, quand on évoque Maurice Ravel ou Claude Debussy… On parle en effet de transparence dans leur musique. Ils étaient déjà des compositeurs aux partitions très expressives comme les compositions de bandes originales le sont désormais. Si vous regardez la carrière d'Erich Wolfgang Korngold (1897-1957), l’un des plus grands compositeurs de l’âge d’or d’Hollywood, il a fui l’Allemagne nazie et s’est installé à Hollywood. Il a été oscarisé pour la musique de Robin des bois, nommé pour celle de L’Aigle des mers, il est de tous les standards des années 1940... Il s’est adapté à l’écran, mais le grand compositeur classique qu’il était à Vienne est resté le même pour la musique de film. Finalement, qu’est-ce que la musique de film ? C’est une musique sur laquelle on met des images. La musique classique, quand on entend du Brahms, du Schubert, s’adapte parfaitement à l’écran. Certains réalisateurs ne s’y sont pas trompés, comme Stanley Kubrick, qui utilise si souvent Schubert par exemple.
Les grands réalisateurs n'utilisent pas pour rien de la musique classique.
Les grands réalisateurs n'utilisent par pour rien de la musique classique, dont vous pourriez dire, si vous ne la connaissez pas, qu’elle est une superbe musique de film, alors qu’il s’agit de Beethoven ou Brahms. Une bonne musique, c’est tout simplement fait par de grands compositeurs. On met entre musique classique et musique de film une frontière qui n’a pas lieu d’être. D’autant plus que beaucoup de compositeurs modernes composent à la fois des œuvres à part entière et des bandes originales, comme Pascal Dusapin, ou encore, plus près de nous, Camille Pepin, compositrice de 33 ans dont je joue actuellement les œuvres en concert à travers le monde. C’est un peu, aussi, comme l'immense Philip Glass, compositeur de musique classique mais aussi de bandes originales.
Comment avez-vous sélectionné les musiques qui figurent sur votre nouvel album ? C’est avant tout parce qu'un film vous a marqué, ou la musique en elle-même, indépendamment de la qualité du film ?
Dans ce disque, le dénominateur commun était qu'ils soient français. Il y a eu ensuite deux approches, celle de films comme Jean de Florette, Indochine ou Rabbi Jacob, qui m’avaient marqué dans ma jeunesse, surtout par leur musique, et d’autres, que j’ai choisi parce qu'elles m’ont impressionné, parfois sans avoir vu le film lui-même. C'est le cas pour le thème tiré de Rich and Famous, dont la musique est signée Delerue. Je n’ai pas vu le film, mais la musique est absolument géniale ! Mais je m’imagine comme ça mes propres images, c’est une façon de se rendre compte du pouvoir évocateur de ces musiques.
Quand on s’appelle Renaud Capuçon, comment regarde-t-on un film ? Une musique peut-elle sauver un film moyen, et inversement, en gâcher un qui aurait pu être grandiose ?
Ça marche dans les deux sens. Une mauvaise musique d’un film génial pourrait me fracasser le film, et à l’inverse, une musique extraordinaire pourrait me faire aimer un film finalement assez moyen. C’est presque inconscient. Quand les deux sont réunis, c’est une chose exceptionnelle, comme Légende d’Automne, de James Horner. Si on prend les choses de la vie, avec cette musique fabuleuse, l’ensemble devient extraodinaire, il y a une cohérence entre image et son qui est sublime.
Cela ne vous a jamais tenté de franchir le pas et de composer de votre côté ?
Je n’ai pas ce talent de compositeur. Être compositeur, c’est un métier, que je respecte trop. Je peux vous trouver une mélodie, mais c’est autre chose de composer une partition, qui demande des études, des compétences spécifiques, du talent. Je me contente d’être chef d’orchestre et interprète.
Vous menez votre carrière à un rythme effréné, entre direction d'orchestre, de festival, concerts à travers le monde... Une telle cadence oblige-t-elle à une hygiène de vie ou des rituels particuliers ?
C'est un peu bateau mais... Le moteur c’est la passion, l’envie, qui arrive à nous faire faire beaucoup plus de choses que si elle était absente, sans les rendre plus simples, mais plus acceptables. Ensuite, bien sûr, il y a une discipline de travail, de façon de vivre. Ce n’est pas une vie monacale, mais on fait attention à ce qu’on mange. Par exemple, je ne bois pas de café le jour d’un concert.
Après le déjeuner, je déconnecte un peu, il y a une grande sieste, puis une préparation, jusqu’au moment du concert. À partir de 14h, je me mets en veille du monde extérieur. La règle, c’est qu’au moment du concert le soir, comme un sportif qui a son match qui approche, je dois être bon. Entre 20h et 23h, il faut être à 100% de ses capacités. Mais cette discipline n'est pas immédiate, on l’acquiert au fil des années. Les premières fois, quand on va jouer au Japon ou aux États-Unis, on se prend un mur de décalage horaire, on mange trop, on fait des nuits blanches… On le fait une fois mais pas deux !
«Mon travail s'apparente à celui d'un grand sportif, qui doit être prêt le jour J pour son match.»
Mais c'est un luxe, un problème que rencontrent tous les passionnés, j’aime tellement la musique. Comme je n’ai pas forcement l’impression de travailler, même à l’autre bout du monde, je n’ai pas vraiment l’envie de couper. Mais je le fais deux fois par an, comme une détox, pour mieux reprendre ensuite. J’ai pris goût à cette coupure. Quand je reprends l’instrument dix jours après, le plaisir est décuplé.
Vous apparaissez souvent sur les réseaux sociaux, et n'êtes pas du tout allergiques aux nouveaux outils de communication. C'est important d’avoir un pieds dans ces médias, pour toucher un public beaucoup plus large ?
J’ai créé une petite structure, encore très récente, qui fait partie du groupe de production Banijay, et qui s'appelle Beau Soir production. Mon concert de mars à l’Olympia est d’ailleurs le premier qui est produit par cette jeune société. Au sein de cette petite entitée, on soutient des jeunes, on les conseille, on produit des concerts… Donc la partie nouveaux réseaux est encore en gestation. Par contre les réseaux sociaux, il est difficile aujourd’hui de ne pas y être. Si vous n’y êtes pas, pour les jeunes générations, vous n’existez tout simplement pas. Mais il faut faire très attention, et je conseille souvent les jeunes là-dessus, il ne faut pas en devenir esclave, addict ou narcissique. Il y a beaucoup de pièges. Dans mon domaine, le milieu du classique, très exigeant, où les heures de travail ne se comptent pas, il peut parfois être dangereux de tout miser là-dessus, avec le risque d’effacer tous ces efforts avec une communication mal gérée. Par contre, il y a une capacité incroyable de développement et d’accéleration grâce à eux. Ce qu’on pouvait faire avec 50 personnes avant, on peut le faire avec 500.000 en peu de temps désormais. Cela donne une capacité d’accès aux gens quasi illimitée.
Vous faites de nombreuses tournées dans les pays d’Asie. Un continent entier en plein boom, y compris en terme d’accès à la culture, de développement des grandes salles et de productions à succès. Comment cette culture classique, traditionnellement associée à l’Europe est-elle perçue et vécue là-bas?
En Corée, il y a une histoire avec ce répertoire de musique classique qui est déjà ancienne. On a le très bel exemple en France de Myung-whun Chung, chef d’orchestre du Philharmonique de Radio France… Quand on va là-bas, on est reçu avec les honneurs, par un public extrêmement chaleureux, les moyens sont là, avec de belles salles. C’est très porteur pour le classique. Cela me fait beaucoup penser au Japon dans les années 1980, avec une explosion dans toutes les composantes de la société…
En Asie, il y a un véritable renouveau du public, surtout pour le classique.
Et c’est un peu la même chose en Chine. Depuis mon premier concert là-bas en 2004, j’ai vu apparaître des dizaines de magnifiques salles de concerts, j’ai vu rajeunir le public... En mai dernier, j’ai été le premier artiste étranger à revenir jouer après le Covid, à Wuhan. C’était très émouvant des salles de 2.000 places remplies de jeunes. Il y a un véritable renouveau du public là-bas, pour le classique en tout cas. Je n’ai jamais joué le programme musique film dans ces pays, mais je le ferai dans le futur, car il y a une vraie demande.
Vous possédez deux joyaux comme instrument : un Guarnieri et un Stradivarius. Vous choisissez l’un ou l’autre en fonction du répertoire que vous allez jouer ?
Je joue essentiellement sur le Guarnieri, baptisé le «vicomte de Panette», conçu en 1737. Mais j’ai fait l’année dernière une expérience lors d’un concert à la fondation LVMH, pour un récital de Bach, en alternant les deux instruments et en expliquant la démarche au public. C’était une expérience assez extraordinaire, car on pouvait réellement entendre la différence de sonorité entre les deux. C’est comme pour une dégustation de vin. Le Stradivarius serait un beau Romanée Conti de Bourgogne, et le Guarnieri serait un grand vin de Bordeaux.
«Les choses de la vie», concert de Renaud Capuçon, accompagné de l'Orchestre Les Siècles sous la direction de Duncan Ward, dimanche 10 mars, 19h, Olympia Hall, Paris 9e.