Créée en 2012, le studio américain A24 s’est imposé comme une référence incontournable du cinéma hollywoodien. Un succès qui tient à un concept relativement simple : laisser une totale liberté à des réalisateurs en phase avec leur époque.
La naissance d’un titan. En 2012, Daniel Katz, David Fenkel et John Hodges décident respectivement de quitter leur poste chez Guggenheim Partners, Oscilloscope, et Big Beach, pour lancer une nouvelle société de production cinématographique baptisée A24. Un nom en référence à l’autoroute empruntée par Daniel Katz au moment où il a fait le choix de se lancer dans cette incroyable aventure.
«J’avais toujours rêvé de lancer ma propre société. Mais à certains niveaux, honnêtement, j’avais peur de me lancer seul et d’essayer de faire en sorte que ça marche. Et j’étais avec une bande d’amis à Rome, et j’ai eu ce moment de clarté. J’étais sur l’autoroute A24. Et à ce moment précis, je me suis dit : ‘Il est temps de s’y mettre’», explique-t-il dans le podcast américain The Age of Ideas.
Les trois hommes étaient fans du cinéma indépendant des années 1990, plus particulièrement des films produits par Miramax (société avec laquelle ils sont constamment comparés aujourd’hui), et se sont promis de toujours placer les films et les réalisateurs au cœur de leur projet d’entreprise. Tout cela soutenu par une vision moderne dans la manière de faire la promotion des œuvres.
Les premiers succès
Contrairement aux grands studios, qui ont horreur de la prise de risque, A24 va réussir à se démarquer en tendant la main à des artistes dont personne n’a entendu parler. Mais qui possèdent une vision qui leur est propre, et un lien très fort avec leur public. C’est ainsi qu’en septembre 2013, «Spring Breakers» d’Harmony Korine voit le jour, rencontre un succès fulgurant en salles, et commence à attirer les regards sur une société qui ne fait que distribuer les films. La même année, A24 s’occupe également de «The Bling Ring» de Sofia Coppola, ou encore «The Spectacular Now» de James Ponsoldt, avec Miles Teller et Shailene Woodley.
Immédiatement, le studio entame son ascension, développe des partenariats avec d’autres sociétés – dont Amazon Prime Video, et plus tard Apple – et commence à prendre le contrôle de A à Z, en finançant, produisant, et distribuant ses propres films. La manière dont ils traitent avec les talents recrutés dans leur écurie, et la liberté d’expression qu'il leur laisse, tout en assurant la promotion de leur travail de manière inventive, a permis à A24 de développer une marque reconnaissable aussi bien auprès des mordus de cinéma que des professionnels du métier.
Quatre ans seulement après sa création, en 2015, le studio offre l’opportunité à la comédienne Brie Larson de décrocher l’Oscar de la meilleure actrice grâce à son rôle dans le film «Room». Un an plus tard, en 2016, sort sur grand écran la première production originale de A24, «Moonlight», qui raflera l’Oscar du meilleur film en 2017, et lancera la carrière du réalisateur, Barry Jenkins. Le film repartira de la cérémonie avec deux autres statuettes, celle du meilleur scénario adapté et du meilleur acteur dans un second rôle pour Mahershala Ali. A cet instant, le studio devient une référence incontournable à Hollywood.
Talent et diversité
C’est grâce à A24 que de nombreux réalisateurs ont pu propulser leur carrière, comme Ari Aster (Hérédité, Midsommar, Beau is Afraid), Greta Gerwig (Lady Bird), Robert Eggers (The Witch, The Lighthouse), ou encore Daniel Scheinert et Daniel Kwan (Everything everywhere all at once). Ce sont eux que l'on retrouve derrière «Uncut Gems» des frères Safdie, film qui a donné un nouvel élan à la carrière d’Adam Sandler. Des acteurs aspirants à passer derrière la caméra ont également trouvé une main tendue au moment d'effectuer leurs premiers pas de metteur en scène, à l’image de Jonah Hill avec «Mid90s», ou Bo Burnham avec «Eight Grade».
La réputation de A24 est telle que des réalisateurs confirmés viennent les trouver pour mener leurs projets que les grands studios refusent de financer, comme pour «The Whale», de Darren Aronofsky.
À l’instar de «Moonlight», le studio n’a aucun problème à mettre en avant la diversité dans ses productions. Des films comme «Minari», «The Farewell», et bien évidemment «Everything everywhere all at once», en sont les parfaits exemples. Une démarche peu commune dans le cinéma hollywoodien, mais qui est parfaitement en adéquation avec les valeurs défendues par les nouvelles générations. A24 n’est d’ailleurs pas uniquement présent au cinéma, mais aussi à la télévision, avec des séries acclamées par le public et la critique telles que «Euphoria», «Ramy», ou plus récemment « Acharnés».
Jusqu’où peuvent-ils aller ?
Forcément, le succès d’A24 ne passe pas inaperçu, et ses projets à venir – dont un film secret réalisé par Harmony Korine et Travis Scott entièrement tourné en infrarouge qui doit accompagner la sortie du nouvel album du rappeur – ne manqueront pas de contribuer toujours un peu plus à son prestige.
En 2023, le studio est devenu le premier de l’histoire de la cérémonie des Oscars à rafler l’intégralité des 6 récompenses les plus prestigieuses – meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur, meilleure actrice, meilleur acteur dans un second rôle, meilleure actrice dans un second rôle – au cours de la même soirée grâce à ses deux films, «The Whale» et «Everything everywhere all at once».
Ils sont arrivés en tête du classement du nombre de films produits par une société de production avec 20 films en 2022, plus que tous les géants du métier comme la Paramount. Leur stratégie de produire des films dotés de budgets raisonnables susceptibles de rapporter gros leur permet de financer une grande partie de leurs projets sans jamais prendre de risque inconsidéré. Et quand l’un d’eux enregistrent d’énormes profits, cela crée une boucle vertueuse en apparence sans fin.
La belle histoire pourrait toutefois prendre fin plus rapidement qu’on ne le pense. En juillet 2021, le site américain Variety avait signalé que les fondateurs d’A24 avaient exploré le marché afin d'estimer le prix de vente de la société. Résultat : une valeur située entre 2,5 et 3 milliards de dollars. Et quand on voit les profits colossaux enregistrés depuis par A24, il ne paraît pas déraisonnable de penser que celle-ci a encore augmentée.