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«La décision» : Karine Tuil explore les arcanes du pôle antiterroriste dans son dernier roman

La romancière dénonce les dérives du tout sécuritaire.[© Gallimard/J.SAGET / AFP]

Après le succès de son roman « Les choses humaines », prix Goncourt des lycéens 2019 et adapté au cinéma, Karine Tuil revient avec « La décision », aux éditions Gallimard. Un opus tout aussi réjouissant. La romancière décrit le monde des juges antiterroristes dans une France en proie aux attentats.

Alma Revel a 49 ans. Juge d’instruction antiterroriste, elle s’emploie à déceler la dangerosité des individus qui passent dans son bureau, tout en restant rationnelle et en conservant une part d’humanité. Un équilibre périlleux, comme un rempart face à la barbarie : «Je leur serre toujours la main quand ils entrent dans mon bureau même quand ils sont accusés de crimes abominables». 

Le récit s’ouvre sur un attentat et une première décision qu’Alma doit prendre : choisit-elle ou non de visionner les images tournées par la caméra du terroriste ? Un drame dont on remonte peu à peu jusqu’à l’origine. La juge d’instruction déroule, au fil des pages, les événements face auxquels elle doit faire des choix cruciaux : doit-elle laisser Abdeljalil Kacem, Français de 23 ans de retour de Syrie, en liberté surveillée ou le maintenir en prison ? Représente-t-il une menace pour la société ? Doit-elle quitter son mari alors que son couple se délite ? Chez Karine Tuil, l’engrenage destructeur se met souvent en marche à la suite d’une pulsion. Ainsi, Alma entame une liaison avec l’avocat d’Abdeljalil Kacem… 

LES CONFLITS INTIMES 

Dans «La décision», l’auteure frappe de nouveau par son talent pour révéler doutes et conflits intérieurs. La mission d’Alma, en tant que juge d’instruction antiterroriste, est de comprendre : les parcours de vie, la violence, les passages à l’acte. Tous les faits qui permettront à la vérité d’affleurer. Avec l’angoisse perpétuelle de ne pas avoir cerné la dangerosité, et interpellé un jihadiste qui commettra un attentat. «Sur mon bureau, j’ai encadré cette phrase de Marie Curie : "Dans la vie, rien n’est à craindre, tout est à comprendre." Mais parfois, on ne comprend rien.»

LA DÉRIVE DU «TOUT SÉCURITAIRE»

Karine Tuil interroge en effet, à travers la voix d’Alma, les failles d’une société dont certains s’excluent et finissent par haïr la France : «Il y a une hybridation entre délinquance et jihadisme : les recruteurs transforment la violence sociale en violence idéologique et religieuse. La République ne joue plus le rôle intégrateur qui est le sien». Et de dénoncer les dérives du «tout sécuritaire», où le politique prendrait le pas sur la justice.

La juge d’instruction veut au contraire éviter cet écueil et refuse d’incarcérer systématiquement par prévention, au risque que la prison ne radicalise davantage les détenus, parfois mineurs. «Les démocraties ont prouvé leur vulnérabilité en imposant la sécurité comme nouvelle obsession nationale : nous sommes prêts à sacrifier nos désirs, nos valeurs, à bafouer nos droits pour nous protéger (…) acceptant ce traitement politique, nous avons tout perdu : la sécurité et la liberté.» 

Ce dernier roman de Karine Tuil renvoie à ce que nous sommes prêts, chacun, à sacrifier sur l’autel de la protection, éphémère et factice. Comme un compte à rebours. Loin derrière la violence, malgré tout, l’humanité peut subsister, à l’image d’Alma. 

La décision, Karine Tuil, 304 p. Editions Gallimard, 20€

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