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Rentrée littéraire 2022 : nos 6 coups de coeur

Voici nos coups de cœur de cette rentrée littéraire d’hiver.[©FRED TANNEAU / AFP]

Parmi les quelque 500 romans qui sont à paraître entre janvier et février 2022, certains ont particulièrement retenu notre attention. De Michel Houellebecq, à Eric Vuillard, en passant par Karine Tuil, voici nos coups de cœur de cette rentrée littéraire d’hiver.

«anéantir», de Michel Houellebecq

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©Flammarion

Trois ans après «Sérotonine», l’écrivain Michel Houellebecq est de retour avec «anéantir» (éd. Flammarion). Ambitieux, réaliste, et tendre, il dépeint les maux de notre société et aborde une large palette de sujets, comme le terrorisme informatique, la politique, la fin de vie, la foi, ou encore l’amour. Son huitième livre plonge le lecteur en 2027, en pleine campagne présidentielle. Tout au long de ces 736 pages, on suit la trajectoire de Paul Raison, conseillé du ministre de l’Economie et des Finances Bruno Juge, personnage inspiré de Bruno Le Maire. Alors qu'il enquête notamment sur des vidéos relayées par un groupe obscur, dont l’une simule la décapitation de Bruno Juge, cet énarque désabusé, solitaire, rêveur, et fils d’un fonctionnaire de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure), va être confronté à un drame familial et renouer des liens avec ses proches, donnant lieu à des réflexions sur la maladie, et le trépas. A travers ce récit, illustré de quelques dessins en noir et blanc, la star des lettres françaises montre aussi la complexité des relations conjugales, mais surtout l’importance de l’amour, en dressant des portraits de femmes à la fois bienveillants et admiratifs. Rythmé par des chapitres courts et une écriture fluide, «anéantir», précieux ouvrage à la couverture rigide, est un magnifique récit, plus apaisé, et sérieusement documenté, qu'on ne saurait trop vous recommander.

«anéantir», Michel Houellebecq, éd. Flammarion.

«Une sortie honorable», d'Eric Vuillard

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©Actes Sud

Couronné par le prestigieux prix Goncourt en 2017 pour «L'Ordre du jour», qui retrace l'arrivée au pouvoir d'Hitler, Eric Vuillard signe un nouveau livre passionnant et incisif baptisé «Une sortie honorable» (éd. Actes Sud). Cette fois, l’écrivain lyonnais se penche sur la guerre d'Indochine, qui s'est achevée par la défaite de la France à Diên Biên Phu. Au fil de ce court récit historique, il raconte les raisons concrètes de ce conflit, et comment, deux des premières puissances du monde, ont perdu face à un petit peuple sous armée, les Vietnamiens. Si cette bataille coloniale s’est déroulée de 1946 à 1954, le récit s’étend sur une trentaine d’années et commence en 1928, dans les plantations d’hévéa, où des inspecteurs du travail constatent qu’il y a une «épidémie de suicides», que les Vietnamiens sont torturés, et forcés de rester. S’ils tentent de partir, ils sont alors qualifiés de déserteurs, à l’image de ces hommes, pieds nus, attachés avec du fil de fer, et couverts de gale. Habile dans la formule, Eric Vuillard nous emmène ensuite à l’Assemblée nationale, en 1950, où des députés et des ministres s’écharpent sur l’hypothèse d’un cessé le feu «alors que la guerre est déjà perdue», et sur le coût économique du conflit, avant d’aller déjeuner dans un restaurant gastronomique. On fait aussi étape sur le champ de bataille, pendant qu’à Paris, une grande galerie de personnages historiques, essaient de trouver une sortie honorable.

«Une sortie honorable», Eric Vuillard, éd. Actes Sud.

«La Décision», de Karine Tuil

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©Gallimard

Un sujet brûlant. Après «Les Choses Humaines», autour d’une affaire de viol, couronné par le Prix Interallié et Goncourt des lycéens en 2019, et adapté au cinéma par Yvan Attal, Karine Tuil s’intéresse à la lutte antiterroriste avec «La Décision», un roman édifiant. L’écrivaine décrit le quotidien d’une juge d’instruction, coordinatrice du pôle antiterroriste, à Paris, en mai 2016. Alma Revel, 49 ans, doit se prononcer sur le sort d’Abdeljalil Kacem, un jeune homme de 23 ans parti en Syrie avec sa femme, et suspecté d’avoir rejoint l'État islamique. Pendant ce temps, cette mère de trois enfants, mariée depuis 20 ans à un écrivain, entretien une liaison avec le seul homme qu’elle aurait dû éviter, l’avocat de la défense. Il y a certes un conflit d’intérêt, mais cette relation passionnelle est «nécessaire», elle en a besoin pour «tenir». Puis, vient l’heure de prendre LA décision : Doit-elle ordonner sa mise en détention ou sa remise en liberté, au risque que, après sa libération, il commette un attentat ? «C’est une torture mentale : est-ce que je prends la bonne décision ? Et qu’est-ce qu’une bonne décision ? Bonne pour qui ? Le mis en examen ? La société ? Ma conscience ?», s’interroge la protagoniste, en permanence sous pression et menacée de mort. Et quand le pire arrive, on lui reprochera d’avoir été aveuglée par l’amour. A travers ce récit, entrecoupé d’interrogatoires, Karine Tuil lève le voile sur cette profession, complexe, peu connue du grand public, montre la difficulté de sonder l’âme humaine, de manipuler «la matière noire, dure», de faire des choix, pour protéger sa vie de famille et son pays, tiraillé entre le cœur et la raison, entre la peur de libérer un terroriste et celle de mettre derrière les barreaux un jeune innocent. «Le risque de prendre une mauvaise décision n'est rien comparé à la terreur de l'indécision», peut-on lire. Un ouvrage haletant, extrêmement documenté  - la romancière s’est entretenue avec des juges d’instructions, magistrats de la cour d’assise, et avocats - et profondément humain, à lire de toute urgence.

«La Décision», Karine Tuil, éd. Gallimard.

«Les méduses n’ont pas d’oreilles», d'Adèle Rosenfledde 

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©Grasset

Au rayon des premiers romans, on a beaucoup aimé «Les méduses n’ont pas d’oreilles» (éd. Grasset), un ouvrage signé Adèle Rosenfled, qui emporte le lecteur dans le monde des sourds et des malentendants. L’histoire est centrée sur Louise, une jeune femme qui perçoit encore quelques sons de l'oreille droite mais aucun de celle de gauche. Alors que son audition continue de baisser drastiquement, un spécialiste lui propose une intervention irréversible : la pose d’un implant cochléaire. Mais ce n’est pas si simple. Car si cet appareil peut lui permettre de réhabiliter son audition, il bouleversera en même temps sa vision du monde, si particulière, sa puissante imagination, peuplée de personnages rassurants, comme un soldat de la Grande Guerre, une botaniste, ou encore un chien nommé Cirrus, qui l’aide à surmonter l’indifférence d’autrui. Et si elle ne reconnaissait pas sa propre voix et sombrait dans le dédoublement ? Et puis, a-t-elle vraiment envie de pouvoir faire un sport en équipe et d’entendre sa coéquipière lui hurler : «Putain, la balle !» ? Non sans humour, ce récit poétique et plein de douceur, met notamment l’accent sur la difficile intégration des personnes souffrant de ce handicap dans le monde du travail, mais aussi leurs peurs, comme celle de devoir faire répéter son interlocuteur, ou encore de ne pas pouvoir lire sur les lèvres quand la nuit commence à tomber.

«Les méduses n’ont pas d’oreilles», Adèle Rosenfled, éd. Grasset.

«Numéro deux», de David Foenkinos

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©Gallimard

Autre livre incontournable : «Numéro deux» (éd. Gallimard), de David Foenkinos. Dans son 19e roman, à la fois drôle et plein d’émotion, l’auteur de 47 ans met en scène le désarroi d’un jeune garçon, en 1999, à Londres. Arrivé à la dernière étape d’un casting, Martin Hill apprend qu'il n'a pas été choisi pour interpréter le premier rôle d’un long-métrage qui connaîtra un succès fracassant, et pense être passé à côté de sa vie. Le film en question, c’est Harry Potter, et celui qui l’a eu, c’est bien entendu Daniel Radcliffe, car «il a ce petit quelque chose en plus» et «la force mentale de traverser une expérience extrême». Agé d’une dizaine d’années, Martin se renferme alors sur lui-même, et ne souhaite rien tant que pouvoir passer à autre chose. Mais comment faire lorsque tout - les discussions de ses camarades, les émissions, les librairies, les affiches… - lui rappellent sans cesse qu’il est le «numéro deux», celui qui a failli être une célébrité, et qui restera dans l’ombre, tandis que l’autre vit sous les projecteurs.

Malgré cet échec, cette cicatrice, il va pourtant bien falloir se reconstruire, continuer à grandir, exister autrement. «Ce qui est violent dans l'échec, c'est d'avoir perdu la maîtrise de son destin. C'est la soumission à la décision de l'autre», est-il écrit. Ponctué d’anecdotes sur le sorcier le plus célèbre du monde, cet ouvrage, qui sort alors que la saga cinématographique fête cette année ses 20 ans, apporte une réflexion pertinente et sensible sur le sentiment de rejet, ses conséquences, et les vertus de l’échec.

«Numéro deux», David Foenkinos, éd. Gallimard.

«Un Barrage contre l’Atlantique», de Frédéric Beigbeder

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©Grasset

Nouvelle plongée dans le passé. Avec «Un Barrage contre l’Atlantique», Frédéric Beigbeder livre un récit intime, drôle, et sincère, qui fait suite à son autobiographie, «Un Roman français» (éd. Grasset), parue en 2009 et couronnée par la prix Renaudot. Face à l’océan, isolé au Cap Ferret en plein confinement, l’auteur de 56 ans tombe le masque et remonte le fil de ses souvenirs d’enfance. Non sans autodérision, l’ex-publicitaire revient sur le divorce de ses parents, l’absence de son père, «un businessman dragueur», son premier manuscrit, ses flirts, son histoire d’amour avec Laura Smet, fille de Johnny Hallyday et Nathalie Baye, ou encore sa relation avec son frère Charles. Certaines anecdotes sont déjà connues, d’autres inédites. Mais la plupart montrent que ce n’était pas forcément «mieux avant».

Diablement bien écrit, ce livre, dont le titre est un clin d’œil évident à Marguerite Duras, apporte aussi de belles réflexions, sur la fuite du temps, l’avenir de la planète, la liberté, notre époque. En parallèle de son histoire, de ce bilan de vie, il évoque celle de son ami Benoit Bartherotte, «Hemingway en calbute», l’autre héros de cet ouvrage, qui depuis des années se bat pour protéger la pointe du bassin d’Arcachon, menacée par la montée des eaux, en érigeant «un barrage contre l’Atlantique». Et parce que «les paragraphes permettent aux phrases de se cacher les unes derrière les autres», et perdent de leur attrait, «noyées dans la masse d’une page noircie», Frédéric Beigbeder a fait le choix de sauter deux lignes entre chacune d’elles. Souvent, on a ainsi l’impression de lire une suite d'apophtègmes ou de maximes, que l’on est tenté de surligner.

«Un Barrage contre l’Atlantique», Frédéric Beigbeder, éd. Grasset.

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