Une nouvelle quête du passé. Figure majeure de la littérature française, Patrick Modiano est de retour avec l’envoûtant «Chevreuse» (éd. Gallimard), récit au fil duquel il poursuit son errance parmi ses souvenirs pour tenter de rassembler le puzzle de sa vie.
Tout commence avec un mot : «Chevreuse», que le narrateur, Jean Bosmans, double littéraire de l’auteur, va répéter à voix basse. Tel un aimant, ce mot va en attirer d’autres, et être le point de départ de la difficile réminiscence de son enfance et de ses 20 ans. Ce mot lui rappelle une duchesse, qui figurait dans l’un de ses livres de chevet, ou encore une chanson, qui passait à la radio dans les années 1960.
Une de ses connaissances, Camille Lucas, surnommée «Tête de mort», «à cause de son sang-froid et parce qu’elle restait souvent taciturne et impénétrable», avait l’habitude de la fredonner. Un détail en faisant ressurgir d’autres, Jean Bosmans, que les fidèles lecteurs du prix Nobel connaissent déjà, va ainsi continuer à tirer le fil de sa mémoire et restituer des événements survenus quinze ans auparavant.
Des lieux, des objets, des témoins...
Chevreuse est aussi le nom d’une vallée, où se trouve une maison, à vendre ou peut être bien à louer. Une demeure habitée par le temps révolu de son enfance. Mais par quel hasard Camille et une certaine Martine Hayward l’ont-elles conduit là-bas, à deux reprises, après toutes ces années ? Le narrateur semble victime d’un coup monté, mais peut être que cela est le fruit de son imagination.
«On aurait dit qu’elles le faisaient délibérément, dans un but qu’il ignorait et qu’elles avaient été renseignées par quelqu’un sur certains détails du début de sa vie». De la maison de la rue Docteur-Kurzenne en passant par l’appartement d’Auteuil, une sorte de club où les gens se retrouvent la nuit, il continue de se perdre dans les lieux oubliés de sa jeunesse. Et parfois, le lecteur, plongé dans une atmosphère subtilement inquiétante, s’égare à son tour.
Les témoins de son passé surgissent au fil des pages. Tous sont susceptibles de combler les blancs et d’éclaircir certains mystères, notamment autour de Rose-Marie Krawell. Cette femme, mal entourée, est omniprésente dans l’ouvrage mais Bosmans, qui se souvient de la flamme hypnotisante de son briquet, ne parvient jamais à la voir.
entre quête et enquête
Son livre est peuplé de personnages, ou de fantômes. Certains, peu recommandables, semblent vouloir obtenir de lui une information importante, mais qu’il peine à donner. Et quelles sont ces voix qui résonnent tous les soirs sur une ligne désaffectée de téléphone ? L’enfance est une période de l’existence qui restera en partie énigmatique, rappelle Patrick Modiano, auréolé du prix Goncourt en 1978.
«Le temps avait effacé au fur et à mesure les différentes périodes de sa vie, dont aucune n’avait de lien avec la suivante, si bien que cette vie n’avait été qu’une suite de ruptures, d’avalanches ou même d’amnésie», écrit-il.
A l’image de ces précédentes œuvres, «Chevreuse» est une merveilleuse balade intime et romanesque qui donne à réfléchir sur des thèmes qui sont chers à l’auteur, comme la fuite du temps et les caprices de la mémoire. Entre quête et enquête, Modiano fait du Modiano et on ne s’en lasse pas. Porté par la fluidité de sa phrase, on est happé jusqu’à la dernière page.
Patrick Modiano, «Chevreuse» (éd. Gallimard), en librairie le 6 octobre.