Les artistes invités y chercheront sans doute la trace du "fantôme de Jersey". La minuscule île du Guesclin, où vécut Léo Ferré, renoue avec son histoire grâce à la volonté de son propriétaire d'y créer une résidence artistique.
On n'y accède qu'à marée basse, au bout d'une plage de sable fin. Sur ce fort battu par les vents au large de Saint-Coulomb (Ille-et-Vilaine), dans son salon de boiseries sombres au plafond cerise, Léo Ferré composa certaines de ses plus belles chansons. De 1959 à 1968, il vécut épisodiquement sur l'île, achetée grâce à une avance de sa maison de disques, en compagnie de sa deuxième femme Madeleine, de la fille de celle-ci, et de Pépée, sa guenon.
"Quand mes parents ont racheté l'île, en 1996, la cage de Pépée, une immense cage en fer, occupait tout un côté de la maison", raconte le propriétaire, Serge Porcher.
Depuis, la cage de Pépée a laissé place à une grande terrasse qui domine l'anse du Guesclin, où la mer justifie, par beau temps, le surnom de "côte d'Emeraude" du lieu.
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La maison, longtemps bastion militaire, entourée d'un jardin peu entretenu mais luxuriant, que des palmiers et lavandes rendent presque méditerranéen, est fermée aux curieux mais ouverte aux amis.
"Mes parents ont rénové la maison. Ils aimaient soigner la maladie de la vieille pierre", explique Serge Porcher. A 41 ans, barbe plus poivre que sel et cheveux mi-longs, ce designer automobile franco-allemand est à l'origine d'un projet de résidence artistique dans l'île, dont la première édition est prévue fin septembre.
"comme un héritage tardif"
Une résidence uniquement musicale pour commencer "car la maison s'y prête", explique Serge Porcher en désignant le piano à queue qui trône dans le salon. Mais, à terme, tous les arts pourraient y être les bienvenus. "En général, le lieu se prête à la création. Léo Ferré a acheté l'île spécifiquement pour y écrire des chansons".
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C'est sur ce rocher que Léo Ferré, décédé en 1993, écrivit "La mémoire et la mer", texte lyrique sur la Bretagne qualifié "d'éminemment personnel et que personne n'aurait pu comprendre" par le poète. Sur l'île du Guesclin, néanmoins, on comprend mieux cette marée qu'il a dans le coeur.
Cette marée qui bat le fort sans relâche, qui entoure l'île et l'isole deux fois par jour, est, de l'avis général de ceux qui y ont séjourné, à l'origine de l'impulsion créatrice ressentie sur l'île.
"Quand la mer se referme, on laisse tout de l'autre côté, on ne pense plus qu'à la création", confie Corentin Chassard, un violoncelliste qui a séjourné plusieurs fois dans l'île. "On sent aussi qu'on est dans un lieu chargé d'histoire. Léo Ferré est toujours présent sur l'île, on y pense tout le temps", souligne M. Chassard, par ailleurs directeur artistique d'un festival de musique classique qui se tiendra sur l'île en juillet prochain.
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La maison, où se mélangent les restes d'un château médiéval et une partie plus moderne, construite dans les années 1920, peut accueillir une quinzaine de personnes. A l'ancien emplacement d'une caserne se succèdent des chambres aujourd'hui immaculées, peintes de couleurs vives du temps de Léo Ferré. Ces petites chambres, presque monacales accueilleront dès septembre les premiers musiciens invités en résidence.
"Nous allons lancer un appel à candidatures et espérons faire venir de jeunes artistes, peu connus, pour qui la résidence sera l'occasion de se créer un réseau, ce qui est indispensable dans ce milieu", explique Isabelle Dacheux, présidente de la fédération EIFEIL (Éditeurs Indépendants Fédérés en Ile-de-France), chargée de la mise en place de la résidence.
"Ce projet, c'est comme un héritage tardif de Léo Ferré", pour Serge Porcher, qui reconnaît malgré tout que le poète, à la fois humaniste et misanthrope, "n'aurait peut être pas apprécié l'initiative".