Connery, Sean Connery. Né en 1930, 60 films à son actif. Deux passions publiques : le golf et l’Écosse. Une passion discrète : l’éducation. Depuis sa retraite prise en 2003, après le tournage de La Ligue des gentlemen extraordinaires, Sean Connery se fait discret. L’ex-agent au service secret de sa majesté consacre désormais son temps à soutenir les causes qui lui tiennent à cœur : l’indépendance écossaise et la scolarisation des enfants en difficulté.
Archives – Article publié le mercredi 12 septembre 2007
Le regard sombre est loin, très loin, de la nonchalance de James Bond. La moustache et le sourcil broussailleux le transfigurent, le rendent plus fort, plus inquiétant aussi, que lorsqu’il brandit le Walter PPK. Dans The Offence, un film de Sydney Lumet datant de 1972, longtemps resté inédit en raison de sa noirceur, Sean Connery n’a pas de permis de tuer, mais cela ne l’empêche pas de livrer l’interprétation la plus complexe de son impressionnante filmographie. Parmi la soixantaine de films à son actif, l’inspecteur Johnson est l’un des rôles qu’il préfère. L’acteur écossais est transcendé dans ce long-métrage oppressant et intimiste, comme si un an après Les diamants sont éternels (1971), il avait voulu prouver au monde comme à lui-même qu’il était plus que James Bond. Pourtant, il était peut-être le seul à en douter. Sir Sean Thomas Connery, a passé son existence à livrer une course effrénée contre le passé, mu par la volonté d’échapper aux mauvais coups qui prennent trop souvent les traits d’un destin. Aussi, lorsqu’il déclare qu’il « n’y a rien de tel qu’un défi pour faire ressortir le meilleur d’un homme », cette déclaration prend des allures de devise.
Vidéo : Sean Connery dans The Offence (Sidney Lumet, 1972)
Né dans un Écosse oubliée
En 1930, l’Ecosse n’a rien d’un endroit rêvé pour naître au monde. A Edimbourg, ville grise, ni vraiment industrielle, ni vraiment commerçante, mais juste loin de Londres, Thomas Connery voit le jour dans une famille modeste, un peu après dix heures, le 25 août. Son père est chauffeur et sa mère femme de ménage. Obligé de se débrouiller dès son plus jeune âge, élève moyen mais décidé à honorer les efforts de ses parents, il apprend très vite la valeur de l’argent.
Pour faire face à l’arrivée de son jeune frère Neil – il a alors huit ans – il doit enchaîner les petits boulots. Livreur, apprenti boucher, vernisseur de cercueils, le futur sir fait tout ce que l’époque peut proposer de pénibles métiers. Si bien qu’à 13 ans, l’école n’est déjà plus qu’un souvenir. Pour s’échapper, ou parce qu’il n’y a rien d’autre à faire, il s’enrôle dans la Royal Navy. Deux tatouages et quelques mois plus tard, un ulcère le renvoie sur la terre ferme. Encore des illusions perdues, encore la misère, et le manque d’idées sur la tournure qu’il pourrait donner à cette vie le pousse à reprendre les petits boulots de son adolescence.
Musculation et premiers rôles
Le destin lui offre enfin une occasion, en 1951. John Hogg, qu’il vient de rencontrer, lui fait découvrir le King’s Theatre. Ce monde le fascine. Sean Connery décide alors de se sculpter une silhouette et s’inscrit dans un club de musculation. En moins d’un an, il décroche la médaille de bronze au concours de Monsieur Univers, qui se tient à Londres, et tente de trouver une place dans un théâtre de la capitale pour financer ses cours de diction. En 1956, il décroche un petit rôle dans Les criminels de Londres
La chance lui sourit en 1957 quand, bénéficiant d’un heureux hasard de circonstances, il remplace à la dernière minute le premier rôle d’un téléfilm de la BBC. Sur le plateau, il impressionne ses partenaires. Mais pas autant que la critique, unanime sur ses qualités au lendemain d’une diffusion qui établit un record d’audience. La Fox lui offre un contrat de sept ans, rompu au bout de quatre. Il ne reste pas grand-chose des films de cette époque, mise a part sa rencontre avec le réalisateur Terence Young, sur le tournage d’Au bord du volcan.
Vidéo : première apparition de Sean Connery dans le rôle de James Bond
James Bond contre Sean Connery
C’est précisément auprès de ce dernier qu’il va devenir une légende et voir son nom pour toujours associé à celui de James Bond. Rien n’était cependant joué pour lui. Le producteur Albert R. «Cubby» Broccoli pensait à Cary Grant ou à Roger Moore, tandis que l’écrivain Ian Fleming, qui a créé le personnage de 007, voulait un gentleman. Pas vraiment un obscur acteur au physique de docker.
Quand ils l’auditionnent, fin 1961, Broccoli dit oui. Fleming ne veut même pas l’envisager. Planté devant la table, Sean Connery écoute les deux hommes parler. Il s’impatiente. On dit que l’Ecossais aurait perdu son calme et aurait fait plier le destin à la force du poignet. Plus exactement en tapant sur la table. Les deux hommes comprennent qu’ils ont devant eux toute l’inflexible volonté de James Bond.
James Bond contre Docteur No est un pari risqué, une série B avec un petit budget (l’acteur est payé 16 500 dollars). Jusqu’alors, toutes les tentatives d’adaptation sur écran du héros de Ian Fleming ont échoué. Mais la rencontre entre Young et Connery crée une alchimie parfaite. Le réalisateur transforme le culturiste en gentleman, en une incarnation de l’élégance vestimentaire, sociale et intellectuelle. Avec sa beauté et son charisme, Sean crève l’écran. Cigarette au coin des lèvres, smoking parfait, les cheveux plaqués : la première apparition de l’acteur à l’écran crée littéralement un mythe, un moment d’histoire du cinéma. Il n’a pourtant prononcé que trois mots : «Bond, James Bond».
Vidéo : les meilleures répliques de Sean Connery dans James Bond
Entre 1962 et 1971, Sean Connery incarne six fois 007. Mais ses relations avec son personnage le rongent : la peur d’être cantonné à ce rôle, la folie qui entoure la sortie de chaque film, son perfectionnisme aussi, le poussent à claquer la porte une première fois en 1967 après On ne vit que deux fois. Un titre prémonitoire puisqu’il acceptera, alors que ses tempes sont déjà grises, de reprendre du service en 1971 dans Les Diamants sont éternels. Des années plus tard, il confiera que c’est sur le tournage du deuxième opus de la saga (Bons baisers de Russie, 1963), toujours auprès de Terence Young, qu’il a le plus appris sur son métier. En 1972, la page Bond est tournée.
Celle qui s’ouvre commence par un divorce. Il se sépare de sa première épouse, Diane Cilento, la mère de son fils Jason. Il se remarie bientôt avec l’artiste française Micheline Roquebrune, rencontrée sur un terrain de golf. Sean Connery enchaîne les tournages et collabore à de nombreuses reprises avec Sydney Lumet. À chaque film, l’acteur produit des compositions dramatiques dans des œuvres ambitieuses qui lui permettent d’échapper au rôle de James Bond : outre le film noir (The Offence), Lumet et Connery signent ensemble un drame antimilitariste (La Colline des hommes perdus, 1965), une satire sur le Watergate (Le Dossier Anderson, 1971), une adaptation d’Agatha Christie (Le Crime de l’Orient-Express, 1974) et une comédie dramatique (Familly Business).
Vidéo : Zardoz de John Boorman
Dans les années 1970, Sean Connery s’essaie à divers genres cinématographiques et multiplient les expériences auprès de cinéastes de renoms tels que John Boorman (le nanar culte Zardoz, 1974), Edward Dmytryk (le western Shalako avec Brigitte Bardot) Richard Lester (La Rose et la Flèche où il incarne en compagnie d’Audrey Hepburn un Robin des Bois vieillissant) et Terry Gilliam (Bandits, bandits, 1981).
La gloire discrète
En 1983, il endosse une dernière fois le smoking de James Bond dans le remake d’Opération tonnerre, Jamais plus jamais. Un titre issu d’un serment qu’il aurait fait après le tournage des Diamants sont éternels. Dans ce film, où il joue sur son âge et les travers de Bond, où les gadgets ne fonctionnent plus et où l’espion danse la valse, il a enfin la chance de donner à son personnage la profondeur dont il rêvait.
Entre deux rôles, il se consacre à deux de ses passions, le golf et la lecture. Depuis qu’il est riche, il dévore tout ce qu’il peut lire : l’un des rares domaines où il ne compte pas son argent, lui qui en a chèrement appris la valeur. Il obtient ses premières récompenses avec le rôle de Guillaume de Baskerville (Le Nom de la rose, Jean-Jacques Annaud, 1986) et remporte le British Academy for Film and Television Arts du meilleur acteur. Son interprétation de Jim Malone dans Les Incorruptibles, de Brian De Palma, lui vaut un oscar et un Golden Globe en 1988. Suivent Indiana Jones et la dernière croisade de Steven Spielberg, où il vole presque la vedette à Harrison Ford, A la poursuite d’octobre rouge (John McTiernan, 1990), puis Rock avec Nicolas Cage (Michael Bay, 1996).
Vidéo : Sean Connery dans Les Incorruptibles (Brian de Palma, 1987)
Mais sa vraie passion, c’est le golf. « C’est pour moi une définition de la solitude. Je fuis les mondanités et les gens bidons, en vérité j’adore être seul », confie-t-il. Micheline et Sean passent au moins quatre mois par an dans leur villa des Bahamas, qu’il a baptisé « Out of Bond » (loin de Bond). C’est de là qu’il gère sa carrière.
« Je suis écossais »
En attendant, il entend aider ceux qui comme lui n’ont pas eu la chance d’avoir une enfance facile. Sean Connery donne beaucoup à des fonds pour l’éducation, notamment au Scottish International Education Trust, qu’il a créé en 1968. Une revanche sur la vie. Il livre aussi son dernier grand combat : depuis le début des années 1990, le comédien milite pour l’indépendance de l’Ecosse, et soutient financièrement et physiquement le Scottish National Party. De quoi exaspérer Sa Très Gracieuse Majesté, pourtant servie par l’agent 007 à l’écran, qui a attendu l’an 2000 pour l’anoblir.
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Sean Connery, par Alain Kantorovitch, chargé de communication à la Cinémathèque française
«Bond, James Bond. On commence toujours par James Bond, mais lorsqu’on s’intéresse au parcours de cet acteur, on remarque qu’il a réussi à casser cette image d’agent secret, et ce même si elle lui colle toujours à la peau. Au-delà d’un simple acteur physique, il est devenu un comédien. Même si sa filmographie présente quelques écueils, il sait maintenant où il met les pieds. Sean Connery choisit ses cinéastes, et a tourné avec les plus grands noms, tels Hitchcock (Pas de printemps pour Marnie, 1964), Lumet ou Lester. Malgré son âge, il se souvient qu’il a grandi dans un milieu très humble, et c’est quelqu’un qui connaît la valeur des choses. Il ne plaisante donc pas avec l’argent, ce qui peut expliquer sa rigueur dans l’application de ses contrats, même si cela a pu lui être reproché.
Vidéo : La Rose et la flèche de Richard Lester
Pour moi son plus beau film reste La Rose et la flèche, de Richard Lester (1976), où il interprète Robin des Bois aux côtés d’Audrey Hepburn, porté par la magnifique musique de John Barry. Le film raconte son retour de croisade, alors que Robin est vieux, las et qu’il peut à peine brandir une épée. A cet égard, le combat final est un monument. Sean Connery y livre une interprétation stupéfiante. Je l’ai rencontré lors d’un hommage rendu à la Cinémathèque après la sortie de Jamais plus jamais (1983), au moment où il a réussi à se libérer de James Bond en allant presque jusqu’à l’autoparodie. Cela lui a permis de lancer le deuxième temps de sa carrière. Ce qui est unique chez lui, c’est son charisme, lié à son timbre de voix, à sa gestuelle. Parfois, il n’a pas besoin de la parole : tout est dans l’expression du visage, dans le regard. En cela, il me rappelle un peu Buster Keaton ».
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